La Boutique au coin de la rue : Tourner en rond
Au moment de découvrir l’adaptation théâtrale du film The Shop Around the Corner, présentée au Théâtre du Rideau Vert ces jours-ci, il n’était guère possible d’oublier les personnages si profondément humains que le réalisateur Ernst Lubitsch avait fixés sur pellicule dans les années 40. Le principal défi de cette production, qui a passé l’été au Théâtre de la Dame Blanche à Beauport, était donc de faire oublier le long-métrage à son origine pour nous entraîner dans une action purement théâtrale.
Non seulement le spectacle signé Pierre-Olivier Scotto et Martine Feldmann ne parvient-il pas à transcender la version cinématographique, mais il va jusqu’à rappeler son existence en intégrant malhabilement au décor une grande affiche de la production hollywoodienne. Ceci sans compter que la facture du spectacle reprend si littéralement celle de la production théâtrale à succès mise en scène par Jean-Jacques Zilbermann en France qu’on se demande si on ne nous aurait pas réservé une pâle copie, toujours plus éloignée de son original.
Si l’enchaînement des scènes tirées du quotidien de ce groupe d’employés n’atteint jamais la fluidité nécessaire, il faut dire que l’utilisation gratuite et répétée d’un plateau tournant, censé évoquer le montage cinématographique, y est pour beaucoup. Les clichés culturels de l’Europe centrale de l’entre-deux-guerres et les rôles sexuels dévolus dans la pièce aux hommes et aux femmes donnent à l’ensemble des allures passéistes. Le sentiment insoutenable d’assister à un théâtre de boulevard hyperréaliste, cher à une certaine tradition française, nous assaille souvent. Le succès de la production hexagonale était-il vraiment garant d’une réussite québécoise? Quoi qu’il en soit, l’adaptation qui s’offre à nous, plutôt que de miser sur les aspects les plus universels des personnages, s’échine à construire une atmosphère vieillotte dont la nostalgie n’opère malheureusement jamais.
Hormis le Pirovitch un peu trop univoque interprété par Jean-Bernard Hébert, les 10 membres de la distribution sont assez justes. Louis-Olivier Mauffette s’en tire mieux que les autres en dessinant un Kralik dont la tendresse et l’orgueil sont savamment dosés. Ce que les acteurs réussissent moins bien, c’est évoquer les liens quasi familiaux qui unissent une telle équipe de travail. Aucune cohésion ne transpire de ce groupe où chacun semble agir pour son propre compte. On se demande aussi pourquoi cette adaptation transpose l’action dans le cadre d’une librairie puisque aucun des personnages ne fait part d’une passion pour la littérature. Les voir agir envers les livres comme envers n’importe quelle marchandise ne nous les rend pas très attachants.
Si certaines blagues atteignent leur objectif et qu’on rit même parfois de bon coeur, d’autres scènes plongent tête première dans un humour douteux. Disons que Jean-Louis Roux, à qui un hommage sobre et touchant a été rendu le soir de la première, méritait peut-être mieux que cette boutique pour souligner ses 60 ans de carrière.
Jusqu’au 6 décembre
Au Théâtre du Rideau Vert