Les Fourberies de Scapin : Le bel âge
Devant une salle bondée d’adolescents étonnamment captivés, les acteurs du Théâtre Longue Vue s’échinent à faire aimer Molière et ses Fourberies de Scapin au Gesù, dans une mise en scène en cavalcade signée YVON BILODEAU.
Qui oserait monter sur les planches devant une salle bondée d’adolescents rugissants, le tout pour un salaire dérisoire? Des acteurs qui ont la foi, il va sans dire. Réunis à l’enseigne du Théâtre Longue Vue, compagnie sans subvention fondée par Martin Lavigne et Catherine Dominic et dont le mandat est de donner le goût du théâtre aux jeunes, les comédiens suent sang et eau durant près de deux heures. La compagnie, qui compte huit productions à son actif, présente en effet un spectacle où les acteurs ne reculent devant aucune prouesse physique afin de séduire le difficile auditoire.
On les retrouve dans un petit décor simple mais attrayant de Vincent Lefebvre, où divers étages de tréteaux de bois évoquent habilement le pont d’un navire. Plusieurs événements de cette pièce de Molière sont effectivement reliés à l’arrivée d’un bateau, que ce soit le retour d’un père, d’une fille, ou tout simplement l’inspiration d’un mensonge de Scapin. On aperçoit donc poulies, cordage, malles, filet et surtout cette lanterne suspendue et vacillante qui créera en début de pièce l’ambiance houleuse d’un événement qui se prépare. Même la musique, composée par le metteur en scène, nous entraîne dans des rythmes rappelant les grandes traversées. Argante (personnage masculin joué ici par Michèle Deslauriers), père d’Octave (Guillaume Lemay-Thivierge), arrive de voyage plus tôt que prévu et surprend son fils marié en son absence. Il apprend également que l’ami de son fils, Léandre (Benoît Langlais), a fait de même sans le consentement de son père (Raymond Cloutier). Les amoureux prieront Scapin (Luc Senay), valet de Léandre, d’user de malice afin de régler la situation.
Si les acteurs doivent jouer avec une énergie souvent disproportionnée afin de garder l’attention d’un public adolescent (le grand rival étant le jeu vidéo), et ce, au détriment d’un certain ancrage, il n’en demeure pas moins que la majorité des effets captent l’attention du jeune public. Yvon Bilodeau privilégie une exagération gestuelle rappelant les lazzis de la commedia dell’arte, mais à saveur contemporaine. Il faut voir le maniement d’épée de Benoît Langlais rappelant les combats des films asiatiques, mais surtout le clin d’oeil aux films violents qui teintent le quotidien de nos adolescents dans un numéro particulièrement réussi de Nico Gagnon, très habile dans le rôle de Sylvestre. Les gags donnant dans la surenchère peuvent lasser le public adulte, mais la jeune salle est ravie.
Si le Scapin de Luc Senay étonne de prime abord par son allure de vétéran fatigué (celui-ci commence la pièce dans un hamac et sortira difficilement de sa torpeur), on adhère vite à cette relecture pertinente. En effet, Scapin dévoile ici un côté lassé et méchant, perdant un peu de la bonhomie souvent mise de l’avant. Éveline Gélinas apporte quant à elle l’intensité qu’on lui connaît aux enchaînements de ses partenaires, conférant un peu d’aplomb à l’ensemble, tandis que les costumes simples de Ginette Grenier rappellent habilement l’époque de la création de la pièce, tout en comportant une touche moderne (grosses lunettes et faux nez) qui a son effet.
Bilan: les ados sont conquis, la salle demeurant miraculeusement calme pendant la représentation pour ovationner bruyamment à la toute fin. Pari tenu, encore une fois!
Jusqu’au 4 décembre
Au Gesù
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