Les Précieuses ridicules – Entrevue avec Paul Buissonneau : Épicer la sauce
Scène

Les Précieuses ridicules – Entrevue avec Paul Buissonneau : Épicer la sauce

Adolescent, PAUL BUISSONNEAU jouait au cow-boy. Dans l’immense salle des costumes de sa paroisse parisienne, avec des chapeaux à plumes du XVIIe. Molière western? "C’est ce que j’ai demandé à GINETTE NOISEUX, qui a fait les costumes. Est-ce qu’on pourrait lâcher un peu les rubans et aller du côté des cow-boys? Le western, j’aime beaucoup."

Sens du baroque, sens du jeu, sens du tragique aussi. C’est ce qui a permis à Paul Buissonneau de mener à bien la mise en scène des Précieuses ridicules, une commande que lui a passée le TNM. Et c’est son premier Molière. "Les Précieuses, je trouvais ça un petit peu cru, un petit peu court, et un petit peu plate. Mais il faut dire que je monte les pièces que l’on m’offre. Comme je disais à quelqu’un, je suis le plombier de l’art dramatique; quand les tuyaux sont bouchés, c’est moi qui les démerde." Pour son plaisir, il s’est fait du cinéma, a extrapolé sur le caractère des protagonistes.

Gorgibus (Pierre Collin), bourgeois de province, débarque à Paris avec sa fille Magdelon (Marie-France Lambert) et sa nièce Cathos (Valérie Blais) dans l’espoir de les marier. La Grange (Jean Marchand) et Du Croisy (René Gagnon), fils de famille, sont repoussés par les filles. Furieux, ils chargent leurs valets Mascarille (Stéphane Breton) et Jodelet (Denys Paris) de les séduire en se faisant passer pour de beaux esprits. Marotte (France Arbour) et Almanzor (Claude Gai), servante et laquais, subissent, exaspérés, les manières des deux précieuses.

"Il y a Gorgibus, qui est un bonhomme qui vient de la province lointaine de France, c’est à dire du Quercy ou je ne sais de quel bled pourri, et ce con veut marier sa fille et sa nièce. J’imaginais qu’il avait vendu ses animaux, une partie de ses terres pour payer la diligence. J’étais en Auvergne, en 38; ils ne parlaient même pas français et ils étaient en sabots. Imaginez en 1640!" Il y a aussi les deux cousines, friandes de ces journaux parisiens vendus par les colporteurs, aspirant à tenir leur propre salon. "Elles sont montées à Paris avec une idée des grandes idées, naturellement."

Dans le texte, peu de différences entre les deux filles, les deux prétendants, ou les deux valets. "Je trouvais ça vraiment aberrant. J’ai essayé de détruire cela." Ainsi, Magdelon est l’aînée, pleine de charme, et Cathos, la cadette naïve. La Grange est orgueilleux et violent, Du Croisy un fils à maman qui adhère à la vengeance de La Grange, peut-être par ennui. Jodelet devient homosexuel, lui qui s’adresse en effet peu aux filles, presque toujours à Mascarille. "Ça crée une petite bataille amoureuse, qui permet aux comédiens des jeux assez variés, explique Paul Buissonneau. Ça dédouble des personnages au lieu de les jumeler." Quant aux valets et serviteurs, ils sont tous violents et impolis, pleins de hargne. Paul Buissonneau parle de ces orphelins recueillis par de gros fermiers, travaillant toute leur vie, dormant dans l’étable, ne pouvant se marier. "J’ai un peu interprété ces gens-là comme étant les futurs révolutionnaires. Les bourgeois s’en sortent toujours, et se servent du peuple pour faire la bagarre."

Finalement, l’esprit de la pièce s’est imposé au metteur en scène. "À la fin de ma troisième ou quatrième lecture, je trouvais que c’était une pièce sur l’humiliation. C’est le seul angle que je vois. Les filles humilient les prétendants, les prétendants veulent humilier les filles, ils se servent de leurs valets, qu’ils humilient." Et Gorgibus? "Il reste le triste sire de l’histoire."

Le 3 décembre à 20 h
À la Salle Albert-Rousseau
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