L'Habilleur : Le théâtre et son double
Scène

L’Habilleur : Le théâtre et son double

Une loge sur scène, une scène en coulisse: voilà que le Théâtre Jean-Duceppe s’amuse à déranger les habitudes de son public avec L’Habilleur de Ronald Harwood, mis en scène par Serge Denoncourt. Sir George (Michel Dumont), le directeur épuisé et dépressif d’une troupe décimée, refuse un soir d’entrer en scène. C’est son habilleur Norman (Denis Bernard), un homme esseulé ne vivant que pour servir l’acteur, qui tentera de sauver la représentation.

Si la pièce met quelques minutes à nous convaincre, l’entrée de Dumont fouette rapidement notre léthargie. C’est que la mise en scène respecte la tradition britannique, la primauté de la théâtralité, tant dans la série de clichés toujours efficaces (les alarmes de bombes, les bandes-son d’applaudissements) que dans la direction d’acteur favorisant la démonstration. Dumont est déroutant, passant de la crise de larmes à la tyrannie, de l’affaissement aux déplacements exagérément majestueux. Malgré le risque de faire de la pièce un insolite objet esthétique, Denoncourt parvient à créer une oeuvre touchante tout en accentuant son étrangeté. Les deux acteurs jouent magnifiquement dans ce registre inhabituel, loin du réalisme américain auquel nous sommes habitués, Dumont utilisant une voix tonitruante sans que nous en soyons agressés, alors que Bernard nous offre une composition de personnage extrêmement précise ne tombant jamais dans la surcharge. Il réussit même à en être bouleversant. Dommage que les quelques rôles secondaires n’arrivent pas aux mêmes résultats.

Denoncourt nous situe en tant que spectateur traditionnel leurré par une mise en scène (la sienne), mais nous démontre habilement la construction de celle de la troupe de Sir George. La machinerie autant que la vie en coulisse se retrouvent impudiquement dévoilées: le rouleau à vent, l’orchestration du régisseur, les acteurs se disputant avant leur entrée en scène, la transformation sous nos yeux de Sir en Lear, etc. Mise en abyme parfaitement réussie, particulièrement grâce à une astucieuse (et magnifique) scénographie de Louise Campeau (récipiendaire du prix Siminovitch), et aux éclairages de Martin Labrecque. Également grâce à l’habile agencement de perruques et maquillages de Rachel Tremblay et François Cyr. L’effet est tel qu’au terme de cet Habilleur, on remarque plus qu’à l’habitude la joie ou la fatigue des acteurs, et l’on ne peut s’empêcher de les imaginer en coulisse alors qu’on remonte dans sa voiture. Surprenant.

Jusqu’au 6 décembre
Au Théâtre Jean-Duceppe
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