Rencontre: Pierre Lebeau : Courants musicaux
Scène

Rencontre: Pierre Lebeau : Courants musicaux

À peine revenu du voyage de L’Odyssée, PIERRE LEBEAU remonte sur les planches, celles de l’Usine C, le temps de livrer une autre reprise fort attendue: le Novecento d’ALESSANDRO BARICCO.

Plusieurs ont déjà lu Novecento: pianiste, d’Alessandro Baricco, l’auteur du magnifique roman Soie. Certains ont même eu la chance de voir la pièce mise en scène par le cinéaste François Girard (Le Violon rouge) et jouée par Pierre Lebeau au Théâtre de Quat’Sous, au printemps 2001. La même pièce est maintenant présentée en reprise à l’Usine C, une occasion à ne pas manquer.

Danny Boodmann T.D. Lemon Novecento, dit Novecento, a été trouvé bébé dans la salle des machines d’un paquebot. Élevé par des marins, celui qui ouvre le siècle (il est né en 1900) ne posera jamais les pieds sur terre. Jamais, donc, il ne connaîtra d’autre univers que la mer, que ce bateau et, surtout, ce piano qu’il a fait sien et dont il joue comme un virtuose, défiant même "l’inventeur du jazz", qui un jour s’est embarqué pour un duel mémorable. "Ce qui est très beau, c’est qu’à l’intérieur de ce microcosme-là, il a fini par comprendre le monde", affirme Pierre Lebeau. Celui qui raconte cette histoire, c’est Tim Tooney, un sympathique trompettiste qui accompagnait Novecento dans les fameux concerts sur le navire.

"Tim Tooney, ce n’est pas exactement le ministre de la Culture! C’est un gars ordinaire, quelqu’un d’assez rustre même, mais c’est un bon conteur. Le genre de narrateur coloré qui sait mettre en évidence les personnages dont il parle", explique l’acteur qui, décidément, cumule les rôles de narrateur – il termine ces jours-ci les représentations de L’Odyssée où il tient le rôle de Laërte, le conteur du poème épique. "Je narre sous un mode totalement différent car L’Odyssée, par la nature même de l’oeuvre, demande un exercice beaucoup plus physique: impossible de raconter cette histoire en catimini; on n’y croirait pas! Dans le cas de Novecento, le récit se fait vraiment tout en demi-teintes, en nuances, je dirais presque en sourdine…"

Si Baricco est également critique musical (il a publié quelques essais traitant du sujet, de Beethoven à Sting), François Girard est, quant à lui, souvent considéré comme un réalisateur branché musique. Mais pour cette pièce, avec la complicité de Nancy Tobin, c’est à partir d’un vieux piano défait en mille morceaux qu’une ambiance sonore a été créée, piano dont chaque parcelle est utilisée pour imiter des bruits de bateau, de moteur, des grincements, provoquant ainsi, à l’aide des éclairages de Marc Parent, un effet de tangage. "Comme si la pièce, rapporte Lebeau en termes métaphoriques, se passait non sur un bateau, mais sur un immense piano flottant sur l’océan."

"François a eu la brillante idée de ne pas créer de musique sur le duel de piano, par exemple. Car dans le texte, on parle de musique divine; or, comment on illustre ça, une musique divine? C’est plutôt narré de façon à ce que chacun puisse recréer sa propre musique." Et il n’y a pas de doute, Lebeau sait lire et comprendre les effets et subtilités d’un texte. Avec Novecento, il est seul en piste sans aucun repère mnémonique. Ce monologue de 65 pages tissé serré demande une concentration exceptionnelle. Ce texte est écrit comme une partition, l’art de la fugue en quelque sorte, "avec des mots récurrents qui reviennent dans un ordre vraiment complexe. Et ça, c’est une des difficultés importantes pour l’apprentissage".

Direction d’orchestre
"Là, je souhaiterais que tu joues allegro… À l’autre page, tu vois, il y a un crescendo." Voilà, d’après Lebeau, comment François Girard dirige, en chef d’orchestre. Il ne donne pas d’indications psychologiques, se concentrant surtout sur ce que la musique provoque: "Il parle de l’amour de la musique." Girard est vraiment un homme de cinéma, et cette caractéristique est apparue dès la première répétition: "Un peu comme sur un plateau de cinéma, je suis arrivé dans un décor déjà fait, dont les éclairages étaient déjà conçus, tout comme les costumes et la trame sonore. Je ne suis pas allé sur le plateau dès le début car il y avait là un substitut engagé pour lire le texte avec mon costume, expliquant au fur et à mesure les effets scéniques provoqués par le jeu. J’ai donc eu l’occasion de me voir, d’une certaine façon, et de pouvoir juger et jauger les effets possibles de l’interprétation. Ce qui est très rare au théâtre."

Pierre Lebeau est heureux de la chimie qui s’est établie entre lui et son metteur en scène, qu’il estime tant professionnellement qu’humainement. Cette complicité l’aide visiblement à respecter un principe fondamental chez lui: "En donner le plus possible au spectateur qui s’est déplacé pour nous."

Du 9 au 13 décembre
À l’Usine C