Isabelle Leblanc : Fille de roi
Scène

Isabelle Leblanc : Fille de roi

Après avoir parcouru le monde à titre de comédienne, auprès de Wajdi Mouawad, ISABELLE LEBLANC revient au bercail pour nous raconter, avec toute la conviction qu’on lui connaît, L’Histoire de Raoul.

C’est en France, il y a deux ans, dans un café probablement semblable à celui d’Outremont où la créatrice se trouve attablée aujourd’hui, que l’aventure a commencé. Ce jour-là, en parcourant le journal Libération, Isabelle Leblanc apprend l’existence d’une femme qui prétend être la fille du roi d’Espagne Juan Carlos 1er. Il n’en fallait pas davantage pour que la directrice artistique du Théâtre Ô Parleur soit immédiatement fascinée par la théâtralité potentielle de ce fait divers. Elle se lance alors sur les traces de cette femme privée de sa vie de princesse, celle dont les origines, réelles ou rêvées, vont déclencher l’écriture de son deuxième texte pour le théâtre: L’Histoire de Raoul.

Animée par le désir de travailler avec son complice de longue date, l’acteur Éric Bernier, Isabelle Leblanc invente un personnage masculin qui se croit fille du roi d’Espagne. Pourquoi fille? Pour éviter à tout prix que le spectateur ne se pose la question de l’éventuelle réalité de ce fantasme. "Raoul est un homme ambitieux et parce que le monde autour de lui nie cette ambition, il construit une obsession qui lui permet d’échapper au néant qui le guette. Il se sent menacé de disparition et croit qu’il doit appartenir à quelque chose qui est de l’ampleur d’une ascendance royale. S’il n’arrive pas à révéler son secret au monde, il risque la mort."

Si la créatrice décrit son personnage comme excessif, elle s’empresse d’ajouter qu’il est tout de même représentatif de cette part de folie avec laquelle nous cohabitons tous. "Raoul est déroutant pour certains, alors que d’autres sont très empathiques à ce qu’il vit. Je crois que chaque spectateur va recevoir ce parcours avec son bagage." Comme les chimères de Raoul nous entraînent dans un véritable délire, la scénographie du spectacle est volontairement hyperréaliste. Les objets du décor ancrent l’homme dans le quotidien de son appartement. C’est dans le même esprit de réalisme qu’un véritable chien partage la scène avec les deux acteurs.

Pour ce spectacle, la metteure en scène s’est à nouveau entourée de collaborateurs hybrides. Le décor et les accessoires sont l’oeuvre de Claudie Gagnon, une artiste plus habituée aux vernissages de ses installations qu’aux premières de théâtre. Elle a rempli la scène du Quat’Sous de centaines de livres. C’est qu’en plus d’éplucher les journaux et de syntoniser, à l’aide d’une antenne parabolique, les chaînes de télévision espagnoles, Raoul dévore inlassablement des atlas, des encyclopédies et des dictionnaires, à la recherche de faits corroborant ses origines. Auprès de lui, une femme têtue et silencieuse, engagée pour traduire en espagnol la lettre qu’il veut écrire à son père. Un rôle confié à Patricia Pizza, qui n’est pas une actrice de métier mais dont la grande humanité a inspiré la metteure en scène. C’est cette femme qui va recevoir le délire de Raoul, le confronter à la dure réalité.

Rêver mieux
Bien que L’Histoire de Raoul nous mène tout droit à un inévitable choc entre utopie et réalité, la créatrice se défend bien de vouloir discréditer le rêve: "Malgré le tragique de cette rencontre, malgré le véritable effondrement dont nous sommes témoins, ce spectacle est un appel au rêve, à sa criante nécessité." De même que le personnage qu’elle a imaginé, Isabelle Leblanc cherche dans sa démarche d’artiste un sens à cette vie qui en semble parfois bien dépourvue. "J’invente ma vie, parce que les modèles que j’ai autour de moi ne me conviennent pas du tout." Alors qu’elle croyait s’éloigner de ses propres obsessions en plongeant dans celles de Raoul, elle demeure bien au contraire en territoire connu: "En m’inspirant d’une histoire semblable, j’étais certaine de ne pas réécrire la même chose, de ne pas explorer des univers familiers. Finalement, je me rends compte que ce personnage est tout près de moi."

À quelques jours d’une première qu’elle attend avec beaucoup de fébrilité, Isabelle Leblanc ne saurait choisir entre les fonctions d’actrice, d’auteure et de metteure en scène. "Je suis en quelque sorte une dilettante. Je suis prête à faire toutes sortes de choses, pourvu qu’elles me mettent en lien avec des gens. Faire du théâtre, c’est préparer un mauvais coup en groupe, en famille. C’est ce bonheur qui prime pour moi."

Jusqu’au 20 décembre
Au Théâtre de Quat’Sous
Voir calendrier Théâtre