Pièces de guerre 1 et 11 : Repas froid
Félicité Théâtre et L’Ange-Éléphant présentent Rouge, noir et ignorant et La Furie des nantis, deux pièces très inégales pourtant toutes deux mises en scène par Robert Reid, au Théâtre Prospero.
Il faut être très patient pour tenter au Prospero l’expérience de ces deux premières pièces de la trilogie Pièces de guerre, de l’auteur britannique Edward Bond. Patient parce que le résultat heureux tarde à venir.
Dans la première partie, un homme (Jean-François Nadeau, nettement plus fort dans la deuxième pièce) n’ayant pas eu la chance de naître narre les épisodes d’une possible vie devant un public assis en miroir. Cette première pièce se divise en tableaux, un banc délimitant l’espace de jeu qui progresse graduellement sur une route que crée la disposition du public. On y verra l’enfance de l’homme, ses parents, son adolescence, ses choix d’adulte, tout cela dans une forme esthétique misant sur les techniques de biomécanique de Meyerhold, une construction du corps extra-quotidienne. L’ennui, c’est que ce travail corporel transforme davantage les acteurs en masses désarticulées qu’en porteurs de texte, sauf peut-être pour le tableau de l’adolescence, où la composition physique caricature admirablement la démarche et le port particulier des jeunes. Mais pour le reste, on a envie de comprendre la signification de tous ces gestes déployés avec énergie qui apparaissent un peu inutiles.
Le niveau de langage de ce Rouge, noir et ignorant pourrait également être plus défini, le spectateur n’ayant pas de balises pour comprendre la réalité dans laquelle il se trouve. Et le texte de Bond, à saveur sociale, aurait dû faire preuve de subtilité afin de ne pas tomber carrément dans le pédagogique, ce qui est malheureusement le cas ici. Toutefois, l’avant-dernier tableau démontre une certaine maîtrise de ce que Robert Reid visait au départ, alors que la mère d’un soldat, femme de bonté et d’ouverture, encourage maternellement son fils à tuer les voisins afin qu’il n’ait pas d’ennuis. L’horreur d’un tel comportement déraisonnable nous frappe comme une gifle. Et son lot de questions aussi, mais tout cela arrive bien tard.
La deuxième partie, La Furie des nantis, se révèle nettement plus intéressante. Les acteurs laissent de côté leurs gesticulations techniques au profit d’un ancrage dans la situation. Il est même étonnant de voir ces mêmes acteurs soudainement se parler et agir en fonction d’une action précise. Nous suivons un survivant de la bombe nucléaire qui rencontre des humains vivants après avoir marché 17 ans sans jamais croiser personne. L’euphorie gagne rapidement la communauté, mais lorsqu’une mystérieuse épidémie commence à frapper, on décide d’éliminer l’apparent porteur du virus, c’est-à-dire l’étranger. L’apparition de la cruauté chez des gens vivant dans l’harmonie totale se fait ici tout en nuances, alors que l’acte violent est presque impossible à poser, freiné par la conscience morale des habitants. Toutefois, malgré leur civilisation pacifique (ils ont de la nourriture pour des années, donc ils ne cultivent aucune compétition ou même notion de richesse), ils commettront des actes de plus en plus barbares, y mêlant la nourriture, et y prendront finalement goût. Témoins d’un tel dérapage, nous sommes émus, gênés.
Autant les costumes et maquillages de la première partie nous semblaient simplistes (vêtements en lambeaux et visages noircis), autant ceux de La Furie des nantis (toujours par Romain Fabre et Frujina Lanyi) sont efficaces. On y retrouve les vestiges de vêtements portés dans une société maintenant détruite, arborant ironiquement toutes les marques du pouvoir: moitié de col de fourrure, couronne tordue, velours défraîchi, breloques brûlées. L’utilisation d’une boîte de conserve est ingénieuse, celle-ci se transformant en bombe dans les mains du narrateur (Nadeau, retrouvant une intelligence du texte étonnante), tandis que Delphine Bienvenue et Chantale Jean sont lumineuses. Mais nous aurons attendu longtemps.
Jusqu’au 6 décembre
Au Théâtre Prospero
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