Traces d’étoiles : Deux registres
Après avoir assisté Éveline Charland à la mise en scène colorée du Malade imaginaire la saison dernière, CHARLES GUILLEMETTE du Théâtre des gens de la place se lance en solo dans l’orchestration de Traces d’étoiles. Une fable contemporaine de CINDY LOU JOHNSON (traduction de MARYSE WARDA), dont le succès repose avant tout sur le jeu du couple de comédiens.
Un blizzard incroyable souffle. Rosannah Deluce (Martine L’Écuyer), qui a roulé de l’Arizona à l’Alaska sans s’arrêter, débarque mystérieusement dans le sanctuaire d’Henry Harry (Patrick Lacombe). Du coup, un choc se produit. C’est la rencontre brutale entre deux âmes blessées, mais opposées: une jeune femme qui a fui vers le nord le jour de son mariage et un ermite qui, dans le but d’échapper à la souffrance, s’est coupé de la vie.
Charles Guillemette, metteur en scène, a délibérément choisi deux comédiens au bagage scénique différent afin d’incarner le duo d’écorchés imaginé par Cindy Lou Johnson. Il a retenu Patrick Lacombe pour ses qualités de vieux routier et a craqué pour la fragilité de la collégienne Martine L’Écuyer.
A priori, le choix du casting paraît judicieux. L’inexpérience de la jeune artiste ajoute en effet une certaine profondeur au personnage de Rosannah, qui demande une légère dose de déséquilibre émotionnel. Mais, rapidement, le manque d’assurance de la comédienne nous rappelle le piège d’une telle décision: un jeu sans variations, sans texture véritable. La mariée en cavale, qui ne demande qu’à mourir, exige pourtant un travail minutieux d’introspection, sa psychologie étant des plus complexes. Malgré tout, Martine L’Écuyer s’en tire bien. Elle explore les limites de son rôle lors des moments forts de la pièce. Une énergie qu’elle puise à même celle de Patrick Lacombe.
Sous les traits d’Henry Harry, la figure de proue du TGP est splendide. Son corps au grand complet arrive à exprimer le fardeau de la solitude ressentie par le protagoniste masculin. Même dans le silence, sa présence parle. Chaque pas posé traîne avec lui une douleur insondable, un éclat du passé. Puis, tout bascule lorsque Rosannah fait son apparition. Cette visite inattendue dégèle le coeur du casanier, ce qui le trouble. Ainsi commence la valse des craintifs. Les deux êtres, qui luttent contre leur attirance mutuelle, se fuient sans cesse, créant un large fossé entre eux. Patrick Lacombe maîtrise bien les modulations émotives d’Henry. Il est très touchant dans ses accès d’agressivité, où il affiche une douce vulnérabilité. D’ailleurs, c’est durant ces moments théâtraux que Martine L’Écuyer arrive à exploiter le maximum de son talent. En habitant la scène en duo, elle semble se débarrasser de ses peurs et donne tout ce qu’elle a dans le ventre. Mais, c’est aussi à ces instants précis que se creuse un important écart entre le jeu des deux et uniques comédiens. La maladresse face à l’expérience.
Heureusement, on pardonne cette distribution téméraire tant le texte de Cindy Lou Johnson brille par sa beauté. Un délicieux poème qui fait miroiter la fragilité humaine. Les éclairages, habiles, servent aussi d’excellents supports à la trame narrative. Ils nous font même oublier qu’on est assis sur les chaises peu confortables de la salle attenante à l’église Saint-James. On se sent au milieu de nulle part, à quelques pas d’un amour naissant…
Les 4, 5 et 6 décembre
À l’Église St-James
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