La Trilogie des dragonsEntrevues avec Simone Chartrand, Véronika Makdissi-Warren et Robert Lepage : En toute humanité
Lors de la création, en 1987, de La Trilogie des dragons, le Québec découvre une nouvelle façon de faire du théâtre. Ouverture sur des cultures lointaines, images simples et fortes, souvent éblouissantes, poésie des objets: la pièce révélait, pour une des premières fois, le talent créateur de ROBERT LEPAGE et de sa bande.
Élaborée au milieu des années 80 par le Théâtre Repère, La Trilogie des dragons a émerveillé le Québec avant de voyager, pendant cinq ans, autour du monde. Avec une distribution nouvelle, cette oeuvre marquante du théâtre québécois revit, et reprend la route.
La version 2003, toujours mise en scène par Lepage, s’arrête à Québec. À travers le parcours de quelques personnages, exploration de différents quartiers chinois, à différentes époques. Au cours de ce voyage, le spectateur rencontre trois dragons: le Dragon vert, ancré dans le quartier chinois de Québec dans les années 1910 à 1935; le Dragon rouge, évoquant celui de Toronto, de 1935 à 1960; le Dragon blanc, se déployant à Vancouver, de 1960 à 1986.
Pour Véronika Makdissi-Warren et Simone Chartrand, jouer dans La Trilogie représente un véritable privilège, un cadeau. Qui ne va pas, toutefois, sans une bonne dose d’adrénaline. "Quand on m’a offert de jouer dans La Trilogie, ça m’a fait un choc, raconte Simone, qui a vu le spectacle à l’époque de sa création. Pour moi, c’était un peu épeurant parce que j’ai beaucoup d’admiration pour les créateurs et les concepteurs de La Trilogie. C’est un spectacle que j’ai adoré, que tout le monde a adoré: j’ai l’impression de chausser de grands souliers…"
"La première fois que je suis rentrée dans la salle de répétition, j’avais l’impression d’entrer dans un musée. Le décor était là… comme une peinture que tu vois, et la personne te dit "Oui, oui, tu peux toucher". Au début, c’était énervant. Mais en avançant dans le travail, on s’est approprié le spectacle; c’est ça qu’il fallait faire. Moi, mon travail, ça a toujours été de faire de mon mieux pour rendre hommage aux créateurs de La Trilogie."
Les deux comédiennes incarnent les amies Jeanne et Françoise, que la pièce suit de l’enfance à l’âge adulte. "Jeanne, c’est un personnage qui n’a pas de chance, explique Véronika. Elle vit des situations difficiles, mais elle est très combative; c’est aussi une grande amoureuse. En fait, elle est un peu l’émotion du spectacle." "Françoise, poursuit Simone, c’est le contraire. Pour elle, tout va bien: Françoise, c’est un grand sourire, une grande joie de vivre."
À travers elles, la pièce aborde des thèmes intemporels, universels, qui font que La Trilogie, à Montréal, Zagreb, Berlin, Limoges ou Madrid, où elle est passée depuis mai dernier, "marche" toujours. "Le principal dans la pièce, avance Simone, ce sont les rapports humains. C’est tellement simple comme histoire: l’amour, l’amitié, la fraternité, la découverte, les déchirements. Tout ça, c’est universel, et ça va rester toujours. Cette pièce-là marche parce que c’est humain." "Où qu’on aille, observe Véronika, les spectateurs, même s’ils ne comprennent pas tout, suivent, s’attachent aux personnages. À la fin, c’est toujours l’ovation, même dans des capitales du théâtre."
Un moment marquant de la tournée? "À Zagreb, un soir, on a eu 12 rappels ; les gens frappaient sur les gradins. Après un tel marathon – six heures de spectacle -, voir, en Croatie, comment ça touche les gens, c’est assez impressionnant, se rappelle-t-elle. Le fait, aussi, que ça dure six heures, c’est particulier. Il y a quelque chose de merveilleux, de spécial: c’est comme une cérémonie, où on est tous ensemble."
La Trilogie des dragons, écrite par Marie Brassard, Jean Casault, Lorraine Côté, Marie Gignac, Robert Lepage et Marie Michaud, réunit une vaste équipe: assistance à la mise en scène: Félix Dagenais; assistance dramaturgique: Marie Gignac; conception: Sonoyo Nishikawa, Marie-Chantale Vaillancourt, Jean-François Couture, Gilles Dubé, Vano Hotton, Robert Caux, Jean-Sébastien Côté; distribution: Sylvie Cantin, Jean-Antoine Charest, Hugues Frenette, Tony Guilfoyle, Éric Leblanc, Emily Shelton.
Les 12, 13, 14, 19, 20 et 21 décembre
Au Pavillon de la Jeunesse
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La Trilogie aujourd’hui, selon Robert Lepage
Qu’est-ce que ça représentait pour vous, de reprendre ce spectacle?
"Le plaisir de refaire La Trilogie des dragons, c’était de retrouver notre alma mater; ça a vraiment été notre matrice, cette pièce-là. Ça dure six heures et il y a, dans ces six heures, tous les éléments qui ont constitué le théâtre qu’on a fait après. Nous-mêmes, on est étonnés de voir à quel point même les projets qu’on a pour le futur y prennent racine."
Que diriez-vous de l’évolution de la pièce?
"C’est sûr que, comme c’est une "remouture", nous, on était tous très nostalgiques. On se souvenait de La Trilogie comme d’une oeuvre parfaite dont on avait fait le tour. Mais quand on l’a sortie des boules à mites et qu’on l’a regardée, on s’est rendu compte que ça n’avait pas de bon sens. Il y avait des choses qui ne tenaient plus, des choses qui avaient survécu, qui étaient restées très modernes, mais d’autres qui n’étaient vraiment pas abouties. Donc, on l’a vraiment vue comme un nouveau projet de création. On ne l’a pas faite comme une vieille pièce qu’on met en scène; on l’a réécrite, re-sculptée; on a changé beaucoup de choses. Ça a été bien intéressant.
Aussi, il y a une chose dont il faut se souvenir, c’est que la première phrase de La Trilogie, c’est: "Je ne suis jamais allé en Chine." Ça, c’était représentatif d’un groupe qui, à l’époque, n’était jamais sorti de Québec. Depuis, on est tous allés en Chine, au Japon, un peu partout dans le monde. Donc, c’est sûr que ça ne veut plus dire la même chose. Les images de guerre qu’il y a dans la pièce ne réfèrent plus aux mêmes guerres. On parle toujours de la Deuxième Guerre mondiale, mais aujourd’hui, la guerre, ça veut dire autre chose qu’il y a 15 ans. Alors ça, c’est intéressant. C’est pour ça que je dis que c’est resté contemporain, que c’est demeuré une pièce touchante et envoûtante, parce que le monde a beaucoup changé, mais pas la façon d’en parler. Notre rapport avec la culture chinoise est aussi très différent de ce qu’il était en 85. La place Tian’anmen, c’était en 89; la Chine d’aujourd’hui, ça n’a rien à voir. Donc, notre impression de l’Orient a changé aussi. C’est l’fun de voir qu’une oeuvre peut surnager deux époques et qu’elle prend des couleurs différentes à cause de ça, parce que le moment où on la présente est très important."
Propos recueillis par Josiane Ouellet