L’Histoire de Raoul : Une histoire inventée
Quel objet théâtral singulier que celui offert ces jours-ci par la polyvalente Isabelle Leblanc. Depuis cet été 2000 où elle mettait en scène Aube, son premier texte de théâtre, la comédienne a parcouru le monde avec les spectacles de son complice, Wajdi Mouawad. Est-ce bien ce pèlerinage artistique qui a donné à sa dernière création une telle maturité? Chose certaine, c’est un véritable ravissement que d’entrer dans L’Histoire de Raoul.
Bien que Raoul ait une vie particulièrement modeste et routinière, c’est par un retour à la maison hors de l’ordinaire que s’ouvre la pièce. Grâce à la crise d’épilepsie qu’il a simulée, l’employé modèle compte s’absenter du bureau pour quelques jours. Une période qui lui permettra de livrer le lourd secret de son ascendance royale. C’est que Raoul, persuadé depuis près de 40 ans d’être la fille de Juan Carlos 1er, roi d’Espagne, compte bien cette fois écrire à son père pour lui signaler son existence.
Pour camper son aventure débridée, la metteure en scène a choisi un lieu scénographique qui colle à la réalité. L’impressionnante accumulation de bouquins qui délimite l’appartement exigu de Raoul n’est peut-être pas du plus grand réalisme, or le reste du décor signé Claudie Gagnon l’est sans équivoque: télévision, fauteuil inclinable où trône Raoul, plaque chauffante où il fait cuire son steak. Mais c’est la présence en poils et en os d’Hermann, le chien de Raoul, qui provoque l’effet de réel le plus saisissant. Si elle fait beaucoup rire la salle, cette accumulation parvient surtout à rendre avec justesse et dérision la grande solitude du personnage.
La force de ce presque one man show réside avant tout dans la très impressionnante performance d’Éric Bernier. Bien que l’agilité de cet acteur ait été souvent remarquée, il trouve avec cette partition, écrite pour lui, une matière qui convient particulièrement à la nature de son talent. Bernier campe un Raoul voltigeant avec aisance sur la corde raide entre risible et tragique. Il exécute avec finesse les plus grandes bouffonneries et donne ensuite à son personnage des accents d’une gravité troublante. Sa performance est si captivante qu’on se surprend par moments à retenir son souffle. Et que dire de la présence de Patricia Piazza? Le personnage quasi muet que cette non-actrice interprète avec mystère et retenue semble tout droit sorti d’un film d’Almodovar. Elle va s’incruster dans la vie de Raoul, bien davantage pour le confronter à la dure réalité que pour traduire sa lettre.
Grâce à la satire sociale qui tisse le propos sans jamais l’alourdir et à la douce folie à saveur hispanique planant sur scène, la nouvelle création d’Isabelle Leblanc est de celles qui s’ancrent pour longtemps dans les souvenirs.
Jusqu’au 20 décembre
Au Théâtre de Quat’Sous
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