Harold Rhéaume : Conquête de l'espace
Scène

Harold Rhéaume : Conquête de l’espace

Le chorégraphe HAROLD RHÉAUME présente son C.O.R.R. (Nocturne) au Studio de l’Agora de la danse. Une focalisation chorégraphique sur les lieux intérieurs du féminin, le territoire de nos mères…

Trois personnages – Clémence, Odile et Rose, incarnées par Lydia Wagerer, Anne-Bruce Falconer et Catherine Tardif -, situés entre la jeune trentaine et la trentaine avancée, nous sont présentés à l’intérieur d’un espace lumineux restreint. Une façon de procéder qui semble chère au chorégraphe. "Ce genre de contrainte spatiale, que je m’impose, m’a permis jusqu’ici de dire plusieurs choses. Il était, par exemple, tout petit dans mon solo Écho, plus grand dans Les Dix Commandements, en forme de croix dans Épitaphe… et maintenant, en forme de cercle dans F.U.L.L. et C.O.R.R."

Cet espace clos a pour fonction, selon Harold Rhéaume, de diriger le regard du spectateur sur ce qui se passe en un point précis, faisant ainsi disparaître l’idée même de scène pour projeter ce spectateur à l’intérieur d’un univers singulier. "C’est peut-être parce que j’ai fait des études en arts visuels, mais il y a quelque chose dans cette idée de cadre qui m’inspire beaucoup. Je crois que, pour parvenir à animer cet espace intérieur, l’utilisation de la lumière est importante." Cela permet, en effet, la mise en place d’une surface d’inscription qui installe un contraste intéressant entre le vide sémantique provoqué par l’obscurité et ce moment lumineux d’où surgit le mouvement humain. Ce mouvement, le chorégraphe désire qu’il soit libéré le plus possible d’un certain maniérisme attribué au danseur. "J’aime que le spectateur ait accès au danseur… et non qu’il soit confronté à une virtuosité qui est tellement loin de lui qu’il peut juste observer sans se sentir interpellé. Comme je me penchais sur le sujet féminin, je voulais que ces femmes qui dansent soient d’abord et avant tout des femmes, avant d’apparaître comme des danseuses."

Pour ce créateur originaire de Québec, C.O.R.R. termine un cycle. "Ma mère et mon frère sont décédés pendant la création de cette pièce. Or, je pense que la perte a activé un point tournant dans ma vie. La perte de ma mère marque la fin d’un cycle de 38 ans de ma vie où j’ai fonctionné avec ce repère-là. Tout à coup, je ne l’ai plus… Dorénavant, j’ai envie d’ouvrir, d’éclater l’espace. Je sais déjà que ma prochaine création va aller dans ce sens-là. J’aimerais alors que ma prochaine contrainte spatiale soit de ne pas en avoir. Cette insécurité-là, dans laquelle je vais me plonger lors de mes prochaines créations, avec l’idée d’un espace ouvert sans repères précis, révèle un peu comment je me sens en ce moment."

C.O.R.R. se veut un hommage à l’archétype de la mère qui donne la vie. Mais c’est aussi une élégie à la mort qui, d’une autre main, reprend cette vie – remplissant alors notre paysage intérieur d’une absence douloureuse. Comment parler de la mort en danse? "D’ordinaire, un corps en mouvement, c’est un corps qui est vivant. Donc, parler de la mort en danse, ce n’est pas évident! Mais c’est un beau défi", conclut le chorégraphe.

Il semble que ce soit également une nécessité. Simplement d’un point de vue cognitif. Car la danse a un pouvoir de transmission de connaissance immense, le corps de l’interprète et celui du spectateur étant directement impliqués dans une relation ayant comme principale voix la résonance kinesthésique: ce sixième sens. Or, il ne nous reste peut-être que l’expérience sensorielle pour tenter d’élaborer une définition toute personnelle du mot "mort", dont le sens tout entier ne saurait tenir dans quatre petites lettres.

Du 18 au 20 décembre

Au Studio de l’Agora de la danse