TOP THÉÂTRE 2003 : Pièces de choix
Tâche délicate que celle d’élire, parmi toutes les pièces de l’année 2003, les trois meilleures. Comment comparer Walker et Sophocle? Hugo et Ducharme? Poésie, réalisme précis et fantaisie débridée?… Allons-y, donc, pour la pure subjectivité.
1) Lentement la beauté, du Théâtre Niveau Parking
Ma plus grande émotion théâtrale de 2003, je la dois à une création du Théâtre Niveau Parking: Lentement la beauté, texte collectif de Marie-Josée Bastien, Lorraine Côté, Hugues Frenette, Véronika Makdissi Warren et Michel Nadeau, qui signait aussi la mise en scène. À cette équipe se joignaient les comédiens Pierre-François Legendre et Jack Robitaille. Monsieur L’Homme, personnage principal de la pièce, vit un passage à vide. Famille, travail, relations diverses: tout lui semble monotone, un peu terne. Est-ce à cela que se résume sa vie? C’est une pièce de théâtre vue par hasard, Les Trois Sours, d’Anton Tchékhov, qui déclenche en lui un cheminement vers la réponse, en l’amenant à redécouvrir la beauté de la vie et du monde.
Pièce aux nombreuses qualités – jeu solide des comédiens, traitement nuancé, fines observations, alliage de gestes quotidiens et d’images poétiques -, Lentement la beauté, jamais naïve, ni simpliste, traçait le parcours du personnage, du désarroi au retour à la surface, menant habilement le spectateur à sa suite. Sans nier la difficulté d’être et les malheurs du monde, la pièce, tissée d’émotions, révélait au spectateur un secret presque indicible: celui de la beauté, souvent très simple, des êtres et des choses, quelque chose comme le "tremblement de bonheur" dont parle Élise Turcotte dans Le Bruit des choses vivantes.
2) Marie Tudor, Du Théâtre du Trident
En deuxième position: Marie Tudor, mise en scène par Gill Champagne. Malgré quelques longueurs dans un texte par moments trop explicatif, cette pièce impressionnait fortement: par la langue flamboyante de Victor Hugo, par la tension constante d’une construction implacable que servait une mise en scène efficace, illustrant dans l’espace le resserrement de l’intrigue. Mais Marie Tudor, surtout, éblouissait par la prestation, dans le rôle-titre, de Lorraine Côté: interprétation lumineuse, intensité remarquable, force incandescente. Incarnant une reine brûlant de passion, au-delà de toute raison et de toute prudence, puis consumée par la jalousie et un désir de vengeance aussi vorace que désespéré, enfin complètement dévastée, déchirée entre la peur de perdre l’être aimé, condamné par ses propres soins, et l’espoir de le sauver, la comédienne s’y révélait plus maîtresse de son art que jamais.
Parmi de grandes scènes, retenons la fin de la première partie où Marie Tudor, à la fois royale et ravagée, offre la tête chérie de son jeune amant au bourreau, et promet à l’infidèle l’exécution au grand soleil. Lorraine Côté y transmettait avec force le vertige de colère et de douleur aspirant la reine, dans un mélange rare de nuances, de profondeur et de puissance.
3) Le Roi se meurt, du Théâtre de la Bordée
En troisième place, du même metteur en scène, Le Roi se meurt, relatant les derniers moments du Roi Bérenger 1er, du refus de la mort à l’acceptation. Jeu sensible et recueilli des comédiens (Yves Amyot, Marie Gignac, Linda Laplante, Roland Lepage, Jean-Sébastien Ouellette, Denise Verville), éloquence de l’image transmise par le dispositif scénique (Jean Hazel) s’enfonçant dans le sol à mesure qu’agonise le roi, éclairages magnifiques (Denis Guérette): tout, dans ce spectacle, se conjuguait pour mener, avec émotion, retenue et intensité, vers la fin inéluctable: la mort du Roi, image de notre mort à tous. Le Roi se meurt, spectacle exigeant et d’une grande beauté, devenait pour le spectateur une véritable expérience: parce que cette pièce de Ionesco nous enseigne un peu à accepter la mort, et parce que la mise en scène de Gill Champagne, lumineuse, menait à un dépouillement, un apaisement serein, qui nous faisait un peu approcher de cette sagesse qu’on n’a pas trop d’une vie pour apprivoiser.
Mention spéciale
Enfin, une mention spéciale à Petit Théâtre sans importance, présenté par le Théâtre de passage. Cinq histoires, celles de 10 personnages joués par deux comédiens, sur la solitude, la difficulté de communiquer, de vivre à deux, le tout présenté dans une mise en scène vive, entremêlant les scènes, et obligeant les interprètes à bondir d’un personnage à l’autre, ce qu’ils réussissaient avec brio. Mention, donc, pour la fraîcheur et la surprise; pour l’ingéniosité permettant de faire tant avec si peu de moyens; pour la qualité du jeu de Jonathan Gagnon et de Maryse Lapierre, dirigés par Frédéric Dubois. Et pour encourager de jeunes talents dont l’initiative, justement, n’est pas sans importance.