Carmen Jolin : Qui a peur d’Edward Albee?
Qui a peur d’Edward Albee? Certainement pas Carmen Jolin, car, contrairement à bien des compagnies de théâtre américaines frileuses, elle met en scène, pour la première fois au Québec, une adaptation de Trois Femmes grandes signée Pierre Laville.
Albee, malgré certains succès dont Qui a peur de Virginia Woolf? et The American Dream, a souvent été marginalisé pour l’aspect habituellement cruel, sarcastique et parfois tordu de ses pièces. Pis encore, il fut qualifié de dépassé par certains critiques pressés d’en finir avec ce vieillard (il est né en 1928) qui ne cesse d’ébranler les conventions et une certaine bourgeoisie. "Il n’a jamais été monté facilement chez lui, aux États-Unis, explique Carmen Jolin, qui est aussi actrice et adjointe à la direction artistique du Groupe de la Veillée. Depuis le début de sa carrière, plusieurs hésitent à produire ses pièces à l’humour grinçant, impoli, montrant des réalités difficiles à accepter pour la société américaine, qui privilégie le théâtre de divertissement à Broadway ou ailleurs, même au off-Broadway. Encore aujourd’hui, malgré la reconnaissance et la célébrité, il doit, à un âge avancé, chercher ses alliés ailleurs que chez lui, où rassembler l’argent pour monter ses œuvres demeure un tour de force."
Trois Femmes grandes, pièce autobiographique qui valut un prix Pulitzer à son auteur, fut créée à Vienne en 1991 avant d’être présentée à New York. "Moi, je l’ai vue en Pologne et ça m’a intriguée, poursuit Jolin, mais c’est à la lecture du texte en français que j’ai vraiment été impressionnée." Il est question de femmes regroupées dans une chambre luxueuse où une dame de 92 ans, ici incarnée par Béatrice Picard, raconte un passé qui, malgré les apparences, se révèle un échec. Maintenant qu’elle est au bout du rouleau, malade et parfois incohérente, elle fouille ses souvenirs et se livre, avec l’autorité et le caractère qui la distinguent, aux deux autres, interprétées par Marie Cantin (de la distribution du Roméo et Juliette présenté au TNM en 1990) et Marie-Claude Sabourin (Les Poupées russes, Simonne et Chartrand). "C’est une femme fortunée, contrôlante, qui a toujours été la détentrice du pouvoir. Elle justifie à travers ses souvenirs la bonne éducation qu’elle a reçue, les bons parents qu’elle a eus et le beau mariage (avec un homme plus âgé, mais riche et gentil) qu’elle a connu. Mais on sent qu’en dessous, c’est une faillite. Son bilan montre bien ses mauvais choix et la mocheté, finalement, de sa vie."
S’il semble évident qu’Albee doit bien maîtriser son sujet, qui, tournant autour de la vieillesse et des changements, cerne ce que la vie nous fait subir comme ce que l’on mérite et le peu que l’on gagne, Carmen Jolin nous assure que le dramaturge saisit aussi très bien la réalité des femmes. "Mais il n’est tendre avec personne, pas plus les hommes que les femmes. Il va dans les soubassements de l’âme. Il ne s’agit pas de héros glorifiés; il montre des abysses. Ses personnages sont des monstres, mais avec une humanité pleine."
Du 20 janvier au 21 février
Au Théâtre Prospero
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