Aphrodite en 04 : Transports en commun
Pour l’auteure Evelyne de la Chenelière et le metteur en scène Jacques L’Heureux, monter Aphrodite en 04 était un moyen d’accomplir les dernières volontés artistiques de Jean-Pierre Ronfard. Afin de créer dans l’urgence, le disparu fondateur du NTE envisageait que chaque jour soit récusée la représentation donnée la veille. Ses héritiers ont relevé le défi haut la main.
Confirmant le génie formel et la lucidité d’observation d’Evelyne de la Chenelière, ce texte est loin de refléter la dimension expérimentale du projet. En s’intéressant aux déboires affectifs d’un petit groupe d’individus, il procède à une lumineuse réflexion sur la nature humaine. Bien que l’essentiel de la pièce se déroule dans le milieu théâtral montréalais, son auteure parvient à l’universel en cristallisant l’incertitude identitaire de sa génération.
Au touchant parcours de Max, Francis Ducharme communique une sincérité peu commune. Le jeune acteur esseulé et sans travail qu’il incarne, forcé d’entendre le discours intérieur des passagers d’un autobus, va connaître la compassion. Au sein de cette talentueuse distribution fraîchement sortie des écoles, impressionnent tout particulièrement la savoureuse interprétation d’Émilie Bibeau et celle, attendrissante, de Marcelo Arroyo. La mise en scène de Jacques L’Heureux, aussi sobre qu’efficace, imprime une cadence soutenue. Dans l’arène qu’il a imaginée, le sol est seul à tenir lieu de décor. Les formes que les acteurs y tracent à la craie (autobus, verres, téléphone…) et les éclairages subtils de Guillaume Cyr évoquent les différents espaces avec drôlerie et inventivité.
Après une semaine de représentations, le spectacle n’avait rien perdu de sa fraîcheur. Toujours aussi satirique et intelligent, il avait toutefois nettement gagné en gravité. En plus de l’ajout d’une nouvelle scène à l’humour noir, au moins deux autres avaient pris une tournure beaucoup plus dramatique. Ce soir-là, le bouleversant monologue final de Max atteignait plus que jamais son objectif. Libéré de sa vanité, dorénavant concerné par l’incessant murmure du monde, le personnage affichait une transformation pour le moins palpable.
Jusqu’au 31 janvier
À l’Espace Libre
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