La Bonne Âme du Setchouan : Critique: La Bonne Âme du Setchouan
Scène

La Bonne Âme du Setchouan : Critique: La Bonne Âme du Setchouan

Jusqu’au 7 février
Au Grand Théâtre
Est-il possible, et jusqu’à quel point, de soulager le malheur des autres? C’est la question troublante que pose La bonne âme du Setchouan, et qui débouche sur un constat d’impuissance ou du moins, sur la conscience que dans un monde de misère, être bon est difficile. Car devant le besoin, comment, et où s’arrêter?

Chen-Te, une jeune prostituée, est seule à accepter d’héberger chez elle trois dieux descendus sur terre à la recherche d’une bonne âme. En récompense, elle reçoit une somme rondelette, qui lui permet d’acheter un bureau de tabac. Dès lors, les nécessiteux frappent à sa porte, réclamant nourriture, logis, argent. Ne sachant pas dire non, elle s’invente, pour se défendre, un cousin intraitable, qui refusera ce qu’elle ne peut donner.

Si cette version de la pièce, par sa construction, étonne parfois, piétinant ici, faisant là un brusque saut, le symbole qu’y utilise Brecht est puissant. Placer dans un même personnage la bonté et le calcul, voilà une idée qui pose avec acuité le problème des limites entre générosité et sacrifice, "charité bien ordonnée" et exploitation des autres.

La production, mise en scène par Antoine Laprise, s’appuie sur une distribution solide, dont la plupart des comédiens jouent plusieurs personnages. Il en résulte une impression de vie, ce va-et-vient créant l’illusion d’un quartier fourmillant d’habitants. L’interprétation assurée et la direction d’acteurs pleine d’esprit donnent lieu à plusieurs scènes amusantes: personnages colorés, échanges rapides, jeu énergique, fondé sur des attitudes, des petits gestes éloquents. Parmi plusieurs éléments réussis, retenons la prestation de Stéphan Allard, incarnant à lui seul les trois dieux, dans une image ironique et très drôle.

La mise en scène, inventive, propose de cette parabole une vision enjouée, qui n’exclut aucunement la sensibilité. Elle exploite très bien l’espace et la très belle scénographie de Christian Fontaine, bâtie sur deux niveaux, et mêlant objets évocateurs de la Chine et éléments ludiques. À cela s’ajoutent de magnifiques costumes (Isabelle Larivière) et une musique originale (Eric Salzman), jouée en scène par certains comédiens.

Visuellement très beau, l’ensemble, sans être parfait, donne une impression de fluidité et de grande fantaisie, qui réjouit tout en faisant réfléchir.