Cheech : Les HOMMES de CHRYSLER sont en ville
Son intrigue de série B est séduisante, et avec six talentueux comédiens, Cheech dispose d’une brillante escorte. Mais l’intérêt de la seconde pièce de François Létourneau tient beaucoup à sa structure: un habile puzzle narratif, qui défie la chronicité en enchaînant les tableaux pas nécessairement dans l’ordre, comme l’indique une horloge au-dessus de la scène. Un décalage horaire pour des personnages en décalage existentiel. Voilà qui garde un spectateur alerte…
L’histoire de Cheech ne serait sans doute pas aussi captivante si elle était racontée de façon linéaire. Quoique… Cette savoureuse comédie noire entrelace pendant une journée les destins de six personnages, en intrigues parallèles qui finiront par se rejoindre. Déjà dépressif (mais il se soigne), le propriétaire d’une petite agence d’escortes victime d’un cambriolage doit refaire en vitesse son book de photos, en prévision d’un gros contrat potentiel – car Les hommes de Chrysler sont en ville. Une de ses filles, au moral encore plus amoché, a rendez-vous chez un nouveau client très nerveux. Pendant ce temps, le voisin de ce dernier attend anxieusement un appel, mystérieux mais capital.
Et Cheech, lui? Il n’y a pas plus de Cheech dans la pièce éponyme que de Godot dans En attendant Godot. C’est un personnage fantomatique, le supposé proprio d’une agence concurrente, que les autres peuvent blâmer à bon compte pour les ennuis qui leur tombent dessus.
Et des problèmes, ils en ont tous, ces êtres saisis dans un moment de détresse. S’il demeure avant tout un divertissement, Cheech est assis sur le mal de vivre, la vaine poursuite du bonheur de personnages souvent isolés chacun dans un lieu (décor d’Olivier Landreville). Un peu en marge du récit principal, le voisin joué avec conviction par Maxim Gaudette rend une angoisse quasi métaphysique: il attend un coup de fil, un contact qui répondrait à tous ses espoirs…
Mais l’auteur met de l’avant un théâtre de l’action, où l’on ne s’appesantit pas sur le drame des personnages. L’attrait de la pièce, c’est qu’elle ne tombe pas dans l’explicatif ou le psychologisme. Les personnages sont définis par les situations qu’ils vivent, et leur mystère reste parfois entier. Si la vraisemblance n’est pas toujours au rendez-vous (on mise sur de grosses coïncidences…), Cheech aligne une succession de moments forts.
Scènes courtes, ellipses: la pièce assume sa forme cinématographique. L’auteur intègre même parfois dans une écriture à relais des sortes de fondus enchaînés textuels, amorçant une séquence par le mot qui terminait la précédente… La pièce dont le titre forme un quasi-palindrome construit savamment un anagramme théâtral, avec un "ordre nouveau à trouver"…
Le plaisir de Cheech, efficacement mis en scène par Frédéric Blanchette, c’est aussi de voir évoluer d’excellents jeunes acteurs, parmi "les meilleurs de leur génération", pour emprunter un cliché. En client embarrassé, François Létourneau démontre d’indéniables dons comiques. Tout comme Maxime Denommée, au jeu nerveux en jeune truand amoureux. La sensible Fanny Mallette révèle sa fragilité. À l’opposé, en escorte sûre de son pouvoir, la truculente Kathleen Fortin vole le show, à son habitude. Patrice Robitaille ne donne pas sa place non plus: c’est ce qu’on appelle avoir de la présence.
Le 2 février à 20 h
À l’Auditorium d’Alma
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