Anne Millaire : Acrobaties verbales
Avec L’en-dedans sens dessus dessous, une fantaisie théâtrale tragico-ludique inspirée par la poésie d’HÉLÈNE MONETTE, ANNE MILLAIRE signe son premier spectacle sur une scène montréalaise. Rencontre avec une artiste sans barrières.
Si L’en-dedans sens dessus dessous représente sa première mise en scène professionnelle dans une institution montréalaise, il ne faudrait surtout pas en déduire qu’Anne Millaire en est à ses premières armes dans le métier. Actrice, metteure en scène, pédagogue, musicienne et danseuse, elle a goûté à tout. Elle s’apprête maintenant à affronter un nouveau défi en dévoilant, à l’Espace libre, un spectacle dont elle a assumé de front la conception, la mise en scène et l’interprétation.
En travaillant à la théâtralisation de textes poétiques écrits par des Québécoises au cours des deux dernières décennies, Anne Millaire fait la découverte des vers extrêmement lucides de la poète et romancière Hélène Monette. "Son écriture est vraiment spectaculaire, elle est dotée d’un rythme et d’une musicalité uniques. Ses poèmes sont des vertiges, ils prouvent que leur auteure a accepté de plonger au plus profond d’elle-même pour explorer ce chaos qui nous habite tous. Ce sont des bijoux dont la forme est miraculeusement liée au fond." En réponse à ce coup de cœur, le projet initial s’oriente vers un spectacle entièrement consacré à cette étonnante prise de parole. Le Blanc des yeux et Plaisirs et paysages kitsch sont les deux recueils, parmi la dizaine qu’a publiée Monette, qui suscitent tout particulièrement l’engouement de la metteure en scène. "Les poésies que j’ai choisies traitent de l’incapacité d’être adéquat socialement, de l’effort de l’être sans jamais y parvenir. Elles s’attardent à exprimer cet état de perdition ressenti par un individu vivant dans une société dénuée de mode d’emploi, de repères ou même de principes fondateurs."
Esprit d’équipe
Pour porter à la scène cet univers qui oscille sans cesse entre la dérision et le tragique le plus retentissant, il fallait que l’adaptatrice trouve le ton adéquat: "Il fallait assumer la gravité du texte, mais pas surenchérir. C’est surtout le jeu clownesque qui donne au spectacle le ludisme qui lui est nécessaire." Pour parvenir à ses fins, la créatrice a fait appel à de précieux collaborateurs. Avec elle sur scène: Marie-Laure Cloarec, une comédienne et clown bretonne spécialisée dans le théâtre de rue, et Pierre Tanguay, un percussionniste peu conventionnel qui improvisera chaque soir une musique inspirée par la performance des deux actrices. "J’ai choisi les membres de cette équipe parce que je savais qu’ils insuffleraient au spectacle la douce folie dont il avait besoin." Entrevoyant le théâtre comme un exercice nécessairement périlleux, Anne Millaire intègre tout naturellement dans son spectacle certaines disciplines de cirque comme le tissu acrobatique. Pour raffiner la dimension gestuelle de sa création, elle n’a d’ailleurs pas hésité à tirer profit des compétences de la chorégraphe Lina Cruz.
Bien que ce choix de collaborateurs permette d’anticiper une représentation spectaculaire, la "maître d’œuvre" s’interdit formellement de perdre de vue l’origine du projet: "Tous les éléments du spectacle ont pour fonction de faire raisonner les images du texte." Interrogée sur l’universalité du discours d’Hélène Monette, un univers littéraire surtout prisé par un lectorat féminin, la créatrice rétorque: "Il s’agit indéniablement d’une parole féminine, ces mots me touchent dans ma friabilité de femme. Pourtant, je crois que cette introspection n’a pas un caractère strictement féminin. La souffrance vive qu’expriment ces poèmes est universelle."
Jusqu’au 21 février
À l’Espace libre
Voir calendrier Théâtre