Sylvie Léonard : Histoire de fille
Alors que son étoile brille comme jamais, SYLVIE LÉONARD préfère aux lauriers un défi à haut risque: incarner la naïve et touchante Dolorès dans le solo Bachelor, écrit par Louise Roy et Louis Saia il y a 25 ans.
Bien avant le succès d’Un gars, une fille, la comédienne Sylvie Léonard avait connu d’autres moments de gloire au petit écran. Il suffit de se rappeler Rue des Pignons, Terre humaine, L’Héritage, Les Machos et une flopée d’émissions jeunesse. Au cinéma, on l’a vue dans La Vie après l’amour aux côtés de Patrick Huard et Michel Côté, et au théâtre, depuis Pygmalion au TNM en 1977, elle a joué dans de nombreuses pièces mais n’est pas remontée sur les planches depuis la Messe solennelle pour une pleine lune d’été de Michel Tremblay, présentée au Théâtre Jean-Duceppe en 1996. Il semble bien que malgré sa célébrité, Sylvie Léonard ne mène jamais de front plusieurs projets à la fois, préférant s’investir entièrement dans chacune de ses entreprises. À compter du 11 février, elle tiendra le rôle de Dolorès dans Bachelor de Louis Saia et Louise Roy, au Théâtre Corona. Un one woman show où la comédienne renouera avec le public et avec ce qu’elle considère comme l’essence même de son métier: le théâtre.
Enjeux de rôles
Si la feuille de route de la comédienne est des plus impressionnantes, Sylvie Léonard hésite beaucoup à parler de sa carrière en ces termes. "Jean-Louis Millette, un véritable mentor, disait qu’au Québec, on n’a pas de plan de carrière. On fait un métier, c’est tout." Mais maintenant que l’infatigable travailleuse ne peut plus faire deux pas dans la rue sans être reconnue, les propositions abondent comme jamais et elle se montre sélective. "J’ai toujours été quelqu’un qui s’intéresse d’abord au texte. Par contre, tout artiste en début de carrière accepte des rôles d’abord pour apprendre. Après, il y a peut-être une période où les comédiens choisissent ce qui les amènera quelque part, mais ensuite arrive le temps, je crois, où l’on choisit nos rôles uniquement pour nous-mêmes, pour nous faire plaisir. C’est vrai que maintenant, quand j’ai des choix à faire, il y a davantage de raisons qu’en début de carrière qui entrent en ligne de compte."
C’est le metteur en scène Yves Desgagnés, "un homme excessivement brillant", qui assure la renaissance de Bachelor, cette pièce créée il y a 25 ans et dans laquelle Pauline Martin assurait le rôle de Dolorès. "Le dernier petit doute que je pouvais avoir s’est rapidement dissipé au moment où j’ai su qu’Yves serait le metteur en scène." Si elle a déjà travaillé avec Desgagnés à la mise en scène à trois reprises, elle a aussi souvent joué aux côtés du Desgagnés comédien. Elle connaît l’homme et l’artisan et elle sait que la chimie sera au rendez-vous ainsi que la confiance réciproque. "Comme il n’y a pas d’autres interlocuteurs dans cette pièce que le metteur en scène, le choix de la personne devient primordial. Pour rendre l’intelligence du texte, on a besoin de complicité et il n’y a pas de compromis envisageable de ce côté-là."
Au premier niveau, Bachelor met en situation une décoratrice de vitrine dans la trentaine qui se rend chez sa voisine de palier parce que chez elle, les tuyaux ont pété et des plombiers sont en train de les réparer. "Elle se rend chez cette fille (personnage que l’on ne voit pas et qu’elle connaît très peu) parce qu’il est hors de question qu’elle passe la journée sans s’épiler." Mais l’épilation n’est qu’un prétexte. Chez la voisine, elle parle, se dévoile, se raconte. "Au début, c’est vraiment très anodin, mais tranquillement, on se rend compte qu’elle se livre beaucoup plus et que c’est probablement pour ça qu’elle avait envie d’aller là. Or, elle, elle ne réalise pas tout à fait que c’est ce qu’elle cherchait. C’est inconsciemment qu’elle fait tout ça. Cette visite répond au besoin qu’elle a de se confier."
Victime de la mode
Écrite un peu à la manière d’Appelez-moi Stéphane, cette pièce est issue des meilleures années de création de Louis Saia. La comédienne insiste pour dire que l’on sent aussi énormément la présence féminine de Louise Roy, qui cosigne le texte. "On voit d’abord le personnage en surface – très comique -, on voit l’espèce de contrôle qu’elle essaie d’exercer sur sa vie car elle s’est créé un type de personnage très plaqué, encore une fois très fort sur le plan humoristique. Mais ensuite, on voit plutôt l’intérieur et la détresse de Dolorès, ou son côté plus féminin. Elle vit seule et fait croire qu’elle est heureuse ainsi, en soulignant le contrôle qu’elle a sur sa vie, sur les hommes qu’elle peut inviter chez elle, mais elle essaie de se convaincre en tâchant de convaincre l’autre." La solitude est un thème toujours actuel, peut-être même plus aujourd’hui qu’il y a 25 ans. Mais la question de la pertinence du texte semble chatouiller Sylvie Léonard. "Ça m’énerve quand on s’acharne à démontrer qu’une pièce est toujours d’actualité chaque fois que l’on remonte un spectacle. C’est vrai en partie, mais je trouve ça trop récurrent pour que ce soit totalement vrai. Là, je vais aller plus loin parce que j’ai l’impression que cette pièce était assez avant-gardiste. Je crois que le côté très superficiel de notre société, le côté très fast-food, très fashion victim, très je-suis-seule-mais-je-contrôle-mon-célibat, est pire aujourd’hui que jamais!"
Le texte a été très peu retouché, exception faite des références à l’époque de la création. La mode ayant changé, les aspects dérisoires ne sont plus exactement les mêmes. "Autrefois, on se rasait le bas des jambes en utilisant du Neet, that’s it, that’s all! Donc, d’arriver sur scène avec ce scénario de rasage était un numéro en soi à l’époque. Maintenant, la mode est au zéro poil même chez les hommes. On a une sainte horreur des poils et les moyens pour les retirer sont inimaginables. On a été obligé de faire des recherches tellement le domaine est rendu vaste. Avec ce nouveau phénomène, la pièce s’ouvre à une autre dimension qui tient plus du pathétique que de l’anecdotique comique. On est allé plus loin avec cette obsession; s’il y a un désordre corporel, il y a un désordre mental. Dolorès pense que si elle contrôle le premier, elle contrôlera également son désordre psychique. Pour elle, avoir un problème de pantalon est aussi dramatique que la guerre en Irak car toute sa vie est organisée pathétiquement autour de son image."
Le jour J
Sylvie Léonard adore le travail de recherche, d’exploration, d’invention et de création qui précède les répétitions et qui se poursuit à travers elles. Mais à mesure que l’autre partie du travail avance – celui de la promotion – , elle réalise qu’elle fait tout ça depuis des mois pour jouer et que là, c’est réel, qu’il va y avoir un rendez-vous sur scène. "Là, je m’énerve. Le plaisir ne reviendra qu’une fois que le spectacle sera vraiment lancé." Est-ce là l’unique différence avec sa manière d’envisager le métier à la télévision? "Le jeu sur scène est abordé et ressenti de la même manière. Ce n’est pas rendu de la même façon à cause de variantes techniques, mais ce qui est à l’intérieur, c’est la même chose."
La comédienne, qui donne de son temps au service de garde de l’école primaire de sa fille pour monter, chaque année, un spectacle écrit par un éducateur, emploie souvent la métaphore d’un lancer de balle pour que les enfants comprennent cette nuance de la technique: "Pour lancer une balle sur scène, tu reproduis la même pulsion (la colère ou autre) mais pas avec la même puissance!"
Auprès des enfants, la comédienne apprend et réapprend qu’elle exerce un métier de parole, dont les outils sont difficiles à transmettre. "Le talent, c’est la flamme! Mais ce n’est pas assez, ça demande énormément de travail."
Au Corona, c’est une comédienne de talent n’ayant jamais eu peur du travail que nous verrons à l’œuvre.
Du 11 au 21 février
Au Théâtre Corona