Trois femmes grandes : Variations sur un même thème
Scène

Trois femmes grandes : Variations sur un même thème

Béatrice Picard, Marie Cantin et Marie-Claude Sabourin: trois femmes grandes qui occupent l’espace comme des notes sur une portée. C’est d’ailleurs à une partition musicale que le texte d’Edward Albee ressemble, avec son rythme et ses tensions, ses moments chauds, tendres, et avec les passages atonaux où les voix se chevauchent dans la discorde, le malentendu, la peine et la peur. Au premier violon: Béatrice Picard, qui rayonne d’intelligence et qui sait interpréter en finesse cette courtepointe exigeante sans laisser paraître aucune trace de l’effort. Et les autres accotent. Tout est bien orchestré pour mettre en valeur le texte, Trois femmes grandes, qui valut au dramaturge américain le prix Pulitzer en 1994.

Au bout de sa vie, une femme de 92 ans (Picard) fait le bilan alors qu’elle est confinée, vu son état de santé, dans une chambre bourgeoise avec pour seuls interlocuteurs sa dame de compagnie de 52 ans (Cantin) et une jeune avocate de 26 ans (Sabourin). Si elle a toujours été dans une position de pouvoir où il importait de ne jamais troubler les apparences, elle ressent maintenant, devant l’inévitable, le besoin de se raconter. En quelque sorte: instruire les autres sur ce qui les attend. C’est de ça qu’il s’agit car au deuxième acte, comme si les masques tombaient, on se retrouve avec l’histoire d’une même femme à trois moments de sa vie. Et tels des démons intérieurs au bord de la bataille, les deux plus âgées se lient en une torsade d’amers regrets pour anéantir les rêves de la plus jeune, pour brouiller les espoirs avec le récit d’une dure réalité. Le procédé utilisé rappelle évidemment celui exploité à quelques reprises par Beckett, comme l’ont remarqué les critiques lors de la création à Vienne en 1991. Au Québec, Michel Tremblay a aussi déjà exploré cette voie avec Albertine, en cinq temps.

La réussite de cette pièce tient surtout au mouvement qu’on a su rendre, comme s’il y avait un métronome marquant un rythme infaillible et provoquant un effet de pendule nous entraînant d’une époque à l’autre. Et il y a ce beau personnage, bien joué par Béatrice Picard, qui rassemble dans l’aveu le plaisir de dévoiler, la honte et le désir d’être pardonné.

Jusqu’au 21 février
Au Théâtre Prospero
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