Les Trois Sours : Russie-Liban: atmosphère, atmosphère
Scène

Les Trois Sours : Russie-Liban: atmosphère, atmosphère

Le Théâtre français du Centre national des Arts présente ce mois-ci la pièce Les Trois Sœurs, justement encensée par la critique et récipiendaire de multiples prix prestigieux, en Europe et au Québec. WAJDI MOUAWAD, qui œuvre comme metteur en scène pour cette pièce, parle de sa genèse, de l’interprétation de l’œuvre, de l’errance, de l’Inspiration. Et de l’exil.

La compréhension que fait Wajdi Mouawad de cette œuvre de Tchekov est remarquable d’intelligence et de vision. Il situe, comme l’auteur, l’action en Russie, tout en y déposant un peu de l’âme libanaise, qui contribue a bâtir ce paradoxe entre chaleur et froideur, qui est un peu au cœur de la pièce: "La première fois que j’ai entendu cette pièce lue à haute voie, quand j’étais étudiant à l’École nationale de théâtre, je me suis rendu compte qu’il y avait là une énergie très proche de ce que j’avais connu, enfant, à la maison. C’était quelque chose de très culturel, en fait…" Ces résonances, parfois même presque physiques, que trouve la pièce dans le propre passé de M. Mouawad, alimenteront son approche: "C’est une question de rythme, de souffle. Tout à coup, cette langue me semblait être arabe, les personnages me semblaient être des gens que je connais."

Tchekov était précis dans son écriture théâtre; en témoignent, par exemple, la façon qu’il a d’indiquer les "pauses" à prendre dans le récit. Le metteur en scène a compris l’importance de ces respirations silencieuses pour l’atmosphère: "Le texte prend là une sorte de suspension, de rythme cardiaque qui correspondait exactement à mon rythme à moi." Et comme les didascalies de Tchekvov précisent les pauses, Wajdi Mouawad y voit, a contrario, l’indication que le rythme doit être soutenu pour le reste du texte. Il entraîne donc les comédiens dans un travail d’interprétation physique, vocale, "cardiaque", un rien plus rapide que celui que l’on découvre dans la vie courante: "Ça donnait, tout à coup, une perspective que je comprenais, que je pouvais manipuler, parce que tout à coup j’avais l’impression qu’il s’agissait de moi. C’est très important, à la lecture d’un texte – surtout classique – d’avoir ce sentiment qu’il est question de soi, sinon l’on se retrouve à faire des choses artificielles ou hors de nous… ce qui m’a fait dire, d’ailleurs, que pour moi Tchekvov est un très grand auteur libanais!" Cette interprétation, cette nouvelle lecture, cette façon de revisiter l’œuvre permet à M. Mouawad d’évacuer un peu la question de "l’âme russe", qu’il ne connaît pas: "J’ai tenté d’insuffler cela aux comédiens, question d’éviter les clichés normalement rattachés à l’univers de Tchekov. Par exemple, je crois qu’à tenter de jouer l’ennui, on a un peu trop ralenti le tout; pour moi, l’ennui ne se traduit pas par la lenteur. Au contraire, quand on s’ennuie, on va vite."

C’est à cette relecture magistrale, cette rencontre entre deux grands esprits, que seul un siècle ne distance, que le Centre national des Arts convie les amateurs.

Les 12, 13, 14, 20 et 21 février
Au Centre national des Arts
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