Rencontre: Serge Mandeville : Sables émouvants
Scène

Rencontre: Serge Mandeville : Sables émouvants

Absoluthéâtre nous convie à une relecture sans complexe de la pièce Oh les beaux jours, de Samuel Beckett. À quelques jours de la première, le metteur en scène SERGE MANDEVILLE nous met l’eau à la bouche…

:"C’est une pièce qui a été écrite pour une femme dans la cinquantaine et un homme qui a la soixantaine. Moi, j’arrive avec une fille de 28 ans et un gars de 26 ans et je vous le dis, la pièce fonctionne toujours. Elle, elle n’a pas vieilli d’une ride!" Ces propos sont de Serge Mandeville, le metteur en scène qui travaille à l’adaptation d’Oh les beaux jours de Samuel Beckett pour la Salle intime du Prospero. Dans le rôle de Winnie, personnage féminin presque aussi marquant pour une actrice qu’Hamlet pour un homme, Marie-Ève Bertrand, qu’on a pu voir dernièrement dans Un carré de ciel de Michèle Magny, au Théâtre d’Aujourd’hui. Quant à Willie, il sera interprété par David-Alexandre Després, qu’on verra bientôt dans le Feydeau dirigé par Normand Chouinard au TNM.

Le jeune metteur en scène, sorti du Conservatoire en 1997, est aussi comédien. Au petit écran, il a joué dans Le Cour découvert, mais c’est au théâtre qu’il appartient; on l’a vu notamment dans Le Vrai Monde? (au Rideau Vert) et dans Ce soir on improvise (au TNM). Il jouait aussi dans Crime et Châtiment (Denise-Pelletier), qu’il avait traduite et adaptée, lui qui a mis en scène plusieurs de ses propres pièces, dont Une île et son désert, et qui s’attaquait à Beckett l’an dernier avec Pas/Footfalls. "C’est doublement épuisant de monter ses propres créations. Avec Beckett, lance-t-il à la rigolade, j’ai moins de travail à faire pour remplir ma salle! Plus sérieusement, j’ai choisi Beckett parce qu’il a une ouvre que j’adore, une ouvre gigantesque qui possède une puissance dont je ne pouvais soupçonner l’étendue avant de commencer à travailler ses textes plus en profondeur. Et c’est surtout cette pièce-ci qui m’a impressionné. Plus Beckett avance en âge, plus ses pièces vont vers un dépouillement, comparativement à En attendant Godot, par exemple, qui se démarque par les prouesses langagières. Oh les beaux jours, c’est très simple, très clair, mais ça parle d’un million de choses à la fois et la pièce possède une charge émotive exceptionnelle."

Soleil trompeur
La pièce démarre avec cette femme, Winnie, qui, engloutie jusqu’à la taille, monologue sur ses vieux souvenirs et se réjouit au moindre prétexte. Caché derrière une butte, son mari Willie l’observe presque toujours en silence. Il s’agit bien de la lutte des dernières heures où, dans la peur de la fin, Willie parle pour contrer le vide et s’imaginer moins seule. Dans la deuxième partie, c’est jusqu’au cou que Winnie est ensevelie. Par les traces de l’absurde où se jouent la répétition, la dérision, la contradiction et le délire verbal, on sent le sérieux, gardé comme un fort à travers l’attente et dans les petits gestes ou les paroles absentes. Winnie affiche toujours son sourire. Chez Beckett, le rire peut exprimer, mieux que la plainte et les larmes, l’horreur dans toute sa froideur.

"La butte est un symbole ouvert. L’image en soi est très forte; c’est un symbole de la mort, mais aussi de la condition humaine en général. La butte peut être la guerre, le vieillissement, la transformation, etc." Mandeville poursuit en expliquant à quel point le soleil est radieux dans cette pièce et que, au fond, les belles journées sont l’enfer de Winnie dont le quotidien est affreusement monotone. À la veille de remonter une pièce plusieurs fois visitée par les plus grands, le jeune metteur en scène est content de son travail, de sa lecture de l’ouvre: "Beckett était un tyran avec les metteurs en scène et chaque affaire était écrite avec précision. Mais je me suis permis des changements mineurs. J’ai fait quelques écarts. À mon humble avis, mon adaptation est peut-être plus près de la version originale en anglais que de la version traduite en français (par Beckett lui-même!); j’ai fait des collages avec les deux versions."

Voyons maintenant si ça colle…

Du 19 février au 12 mars
Au Théâtre Prospero