The Busker's Opera : L'opéra des mendiants
Scène

The Busker’s Opera : L’opéra des mendiants

Toujours entre deux avions et deux mises en scène, ROBERT LEPAGE prend le temps d’assurer, avec la musicienne Laurie Anderson, la présidence d’honneur du 5e Festival Montréal en lumière. Il y présente lui-même un spectacle presque entièrement musical intitulé The Busker’s Opera.

Largement inspiré d’une œuvre de John Gay, The Beggar’s Opera, créée à Londres en 1728, le spectacle de Robert Lepage est plus qu’une adaptation libre de la pièce qui inspira également à Kurt Weill et Bertolt Brecht leur célèbre Opéra de quat’sous; il s’agit pratiquement d’une création. "Les gens qui connaissent bien l’œuvre originale vont reconnaître des parties, affirme Robert Lepage en conférence de presse, mais on a trituré les mélodies, trafiqué les couplets et chanté des bouts qui étaient simplement récités. C’est devenu un beau collage fait à partir de la volonté des musiciens. On en a fait un objet authentique; c’est donc une réécriture, une restructuration plutôt qu’une vieille œuvre que l’on tente de dépoussiérer. C’est une création pure, comme si on avait pris une recette de pizza pour en faire une lasagne!"

Si une trentaine de chansons illustrent l’histoire, elles sont reliées par des ariosos écrits aujourd’hui pour référer au contexte contemporain dans lequel elles évoluent. Chantées dans un vieil anglais du 18e siècle, ces chansons traversent plusieurs styles musicaux, comme le récit les fait aussi voyager d’une ville à l’autre, de Londres au Texas, en passant par La Nouvelle-Orléans. Le spectacle est imprégné tour à tour de ska, de reggae, de jazz, de rock ou de disco, de blues ou de rap, et même de country.

Le blues d’la rue
"Les gens de théâtre se retrouvent toujours entre gens de théâtre, dans des festivals reliés au milieu. Là, nous voulions accéder à un autre public, faire un événement populaire", explique Lepage qui est lassé de la subdivision des publics visés et qui a décidé de faire confiance aux spectateurs et au potentiel de communicabilité du spectacle. "Ça m’intéresse beaucoup de savoir ce que tu peux communiquer sur scène uniquement avec de la musique mais tout en conservant une structure dramaturgique. Ça demeure tout de même du théâtre chanté. C’est un langage dramatique… mais proche du vidéoclip." La critique sociale s’y retrouve comme dans l’œuvre originale, mais les personnages ne sortent plus directement du banditisme de rue avec ses petites arnaques et ses mafias locales. The Busker’s Opera évolue dans le monde du show-business et de son industrie. S’y côtoient les musiciens, les stars montantes et leurs cours, les imprésarios et autres vautours. Chacun tente d’y gagner sa place, sa cote ou sa part. "Il y a mon point de vue personnel sur la précarité des artistes, mais il y a aussi celui des gens qui ont collaboré au spectacle. L’histoire ici se rapproche davantage de la réalité des artistes de la rue que de celle des sans-abri ou clochards de l’œuvre originale, et croyez-moi, les gens que vous retrouverez sur la scène savent vraiment de quoi ils parlent: certains d’entre eux ont passé plus de dix ans devant la porte Saint-Jean, à Québec, à jouer pour de la monnaie…"

Si ce spectacle questionne et évalue la liberté artistique restante dans ce monde où certains tentent d’obtenir la mainmise sur les rouages du succès et du pouvoir, Robert Lepage, artiste estimé internationalement, connaît bien la valeur de cette liberté et se sent privilégié de pouvoir travailler fréquemment avec des moyens enviables et avec des producteurs ou mécènes à l’esprit ouvert. "On ne fait pas tous de l’art pour les mêmes raisons, comme on ne fait pas tous des dollars pour les mêmes raisons!"

Jusqu’au 28 février
Au Spectrum de Montréal
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