Sylvain Émard : Climat social
Scène

Sylvain Émard : Climat social

SYLVAIN ÉMARD entame un nouveau cycle de création sous le thème de la Climatologie des corps dont le volet initial, Pluie, nous est présenté en première mondiale à l’Usine C.

Devant un titre de spectacle comme celui-ci, on est en raison de se poser quelques questions. Car sa simplicité apparente laisse, de manière inversement proportionnelle, tout un champ d’interprétation possible quant à sa portée, sa signification et son lien avec l’œuvre chorégraphique qu’il annonce…
Lors d’une entrevue avec le chorégraphe montréalais Sylvain Émard, nous avons pu faire la lumière sur cette interrogation. "Pluie, c’est une métaphore de l’étendue des multiples influences extérieures qui transforment progressivement l’état des corps, comme un phénomène climatique. Je m’explique… Grâce à la portée actuelle des médias de l’information, on sait maintenant que sur le plan météorologique, nous sommes interdépendants; que ce qui se passe à l’autre bout de la Terre va nécessairement nous influencer. Ça fait de nous des êtres beaucoup plus en contact avec une espèce de globalité. Cette pollution laissée par les objets de télécommunication, tout comme les ondes radio qui nous traversent, forment à leur tour, en quelque sorte, des zones climatiques. Ici, je fais simplement un parallèle, car ces signaux invisibles, de plus en plus nombreux, ne servent pas qu’à annoncer la météo, on le sait bien. Ils sont porteurs d’information, dans son sens large."

C’est d’ailleurs là que semble se situer la métaphore que le créateur évoque: une Pluie d’information. "Je crois justement, poursuit-il, qu’on se sent souvent démunis devant cette surcharge de données, dans plusieurs cas superflue, dont il faut tenir compte dans les diverses situations de la vie. Personnellement, tout ça me donne un peu le vertige. C’est comme si, à cause de cela, nos gestes avaient perdu leur insouciance. Dans le même ordre d’idées, nos relations interindividuelles sont de plus en plus compliquées, car nous sommes des êtres beaucoup plus complexes qu’avant."

La pièce ne se veut toutefois pas une illustration de cette thématique, souligne Sylvain Émard. Elle sert plutôt de toile fond sur laquelle vient s’inscrire le duo interprété par Sandra Lapierre et Marc Boivin. Deux complices qui se connaissent depuis longtemps, nous dit le chorégraphe. Il ajoute qu’il aime travailler avec eux parce qu’ils ont la sensibilité qu’il faut et l’expérience pour comprendre assez vite ce qu’il cherche. "Le duo Pluie, c’est pour eux que je voulais le faire", confie-t-il.

Lecture à vue
Mais comment lit-on ces corps qui sont autant des corps sociaux que des corps dansants, de manière à faire ressortir, à travers le mouvement, les effets de cette porosité corporelle par laquelle l’"inondation" s’infiltre? "J’aborde le mouvement des corps de façon très musicale; j’entends la danse. Je m’en suis rendu compte le jour où un de mes copains musicien me l’a fait remarquer. Je perçois peut-être la danse de cette façon parce que la musique est la forme d’art la plus achevée; c’est celle qui se rapproche le plus de la véritable abstraction. En musique, on a un certain nombre de sons, de tonalités, de rythmes… En jouant avec de façon très mathématique, on réussit à créer des mondes à l’infini. Ces simples données n’ont pas de personnalité ou de caractère en soi tant qu’on ne les a pas agencées, unifiées. J’aimerais idéalement pouvoir faire ça avec les corps, mais il y a une limite parce que ce sont justement des corps et qu’il y a une identification possible; l’abstraction s’arrête donc là."

Pour cette création, Sylvain Émard a profité de deux résidences offertes par la Fondation Jean-Pierre Perreault. Une chance, selon lui, car l’un des objectifs de ce projet était d’amalgamer la danse et les scénographies sonore et visuelle. Or, sans ces résidences, il croit qu’il n’aurait pas été possible de faire les tests et les ajustements nécessaires pour écrire l’œuvre avec les collaborateurs, au fur et à mesure. "C’est fantastique d’avoir l’occasion de travailler ainsi. De cette manière, tu sais que venu le soir du spectacle, les liens sont solidement tissés entre tous les éléments qui composent l’œuvre."

Ces collaborateurs, qu’il a judicieusement choisis au préalable, sont l’artiste visuel Edward Pien, qui signera la scénographie, le compositeur de musique électroacoustique Tim Hecher, le concepteur d’éclairages Étienne Boucher et le designer YSO, à la confection des costumes.

Du 4 au 6 et du 10 au 13 mars
À l’Usine C