Bernard Fortin : Personnalité multiple
Scène

Bernard Fortin : Personnalité multiple

Après avoir été chaudement applaudi au Festival Juste pour rire et en tournée, le tandem FORTIN-BILODEAU incarne de nouveau les 15 personnages colorés de la pièce Des roches dans les poches, mise en scène par YVES DESGAGNÉS. Seul le contexte a changé: voilà l’œuvre de MARIE JONES présentée sur les augustes planches du Rideau Vert.

Bernard Fortin cache difficilement sa joie de reprendre ce projet de haute voltige. "On a tellement aimé travailler là-dessus qu’on ne voulait pas qu’il meure en mai dernier, nous raconte-t-il, visiblement ravi. Quand Emmanuel Bilodeau a entendu dire que la production en cours au Rideau Vert serait probablement annulée, on a sauté sur l’occasion. C’est sûr qu’il a fallu ramasser tous les accessoires en quatrième vitesse et qu’on a eu beaucoup moins de temps de répétition qu’à l’habitude, mais la mécanique était déjà rodée. C’était comme pour la bicyclette: même quand on arrête un an, ça revient vite."

C’est donc la pièce de Marie Jones, sacrée meilleure comédie de l’année en 1999 et traduite par René-Daniel Dubois, qui remplacera Rapports intimes, annulée il y a quelques jours. L’histoire est celle de deux figurants gaspésiens dans une grosse production hollywoodienne installée dans leur village. "La pièce traite en partie de l’impérialisme américain – l’équipe de tournage vient seulement pour les beaux paysages, au risque d’écraser les Gaspésiens, nous explique l’acteur. Mais il y a aussi une autre dépossession dans cette pièce, à plus petite échelle, et qui est peut-être encore plus triste: la dépossession du rêve."

Ce qui fait le charme de cette production, c’est que la myriade de personnages, de la starlette à l’assistant de plateau, est jouée par les deux mêmes acteurs. La mise en scène de Desgagnés repose quant à elle sur des moyens économes, alors que seuls de simples accessoires et quelques projections soutiennent les comédiens. "On doit être tantôt un petit gars de 10 ans, tantôt un bonhomme de 75 ans, tantôt une actrice française caractérielle, explique Fortin, emballé. C’est le rêve pour un acteur… mais aussi son cauchemar. Pour moi, c’est du théâtre extrême; c’est comme sauter en bungee. On ne sort jamais de scène, on n’a que notre corps et quelques accessoires et on doit tout de même faire oublier aux spectateurs qu’ils sont devant des acteurs, il faut les embarquer. Le cauchemar serait de ne pas faire nos devoirs et d’enchaîner le show en le tenant pour acquis."

Leurs devoirs, ils les ont bien faits. "Quand on l’a montée, c’était pour le Festival Juste pour rire, alors c’est évident qu’on en a mis beaucoup. On n’était pas allé en profondeur; on avait un peu coupé dans l’émotion. Mais là, on a l’impression de redécouvrir l’œuvre de Marie Jones, que l’on avait peut-être oubliée quelque part en cours de route. C’est une histoire qui peut être très touchante…" Même chose pour le jeu: les acteurs ont cette fois misé sur la justesse et l’intériorité plutôt que sur la caricature. "Il serait facile, par exemple, de faire la grande folle avec une perruque et du maquillage pour le rôle de la névrosée. Mais c’est tout un défi de trouver cela dans l’intériorité. Je me branche sur la féminité que j’ai en moi et sur le drame que vit ce personnage. C’est un exercice de finesse qui, je crois, sera évident dès les 15 premières minutes. J’apprends énormément en travaillant avec Yves Desgagnés. Il recherche toujours la vérité, même dans le comique. Cette pièce devient un prisme dans lequel je peux exploiter toutes les facettes de ce que je suis."

Acteur comique, acteur dramatique (il reçut un Gémeau en 1997 pour son rôle dans Cher Olivier), animateur, doubleur, ce ne sont pas les facettes qui manquent. Fortin convient que sa carrière prend différentes couleurs selon les périodes. "Même si j’aime tout ce que je fais, je me sens un intrus partout. Je suis parfois un acteur qui anime, parfois un animateur qui joue… Mais je dirais que depuis quelques années, l’acteur a repris le dessus. Quand j’étais au Conservatoire de théâtre, je disais à mon ami Vincent Graton: on est ici pour remplir notre coffre à outils. Eh bien y a du stock dans le mien! lance Fortin en riant de bon cœur. Et le théâtre, c’est le chantier de construction chaque soir. Le texte comme charpente et le jeu comme travail de finition. Là, on a affaire au contracteur Desgagnés qui dirige ça au 7/8 de pouce, ben précis. Alors je ressors mon vieux ciseau à bois!"

Jusqu’au 27 mars
Au Théâtre du Rideau Vert
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