Pluie : Eaux-de-vie
Rares sont les moments, dans notre vie de spectateur ou de critique, où l’on est placé en face d’une œuvre empreinte d’une unité quasi parfaite. Ce fut le cas, le jeudi 4 mars, lorsque je me suis retrouvé devant Pluie de Sylvain Émard, présentée à l’Usine C.
La pièce ouvre sur le décor très minimal et épuré d’Edward Pien: trois immenses bandes d’une matière qui ressemble à un papier blanc épais et froissé, laissant passer légèrement la lumière et servant de surface de projection d’ombres. Deux de ces bandes (amovibles) sont disposées sous forme de rouleaux au centre de l’espace.
Lorsque la musique électronique de Tim Hecker et les éclairages d’Étienne Boucher viennent se juxtaposer à ce décor en emplissant la scène et – progressivement – nos sens, cela procure l’illusion d’une atmosphère uliginaire de canicule. On peut presque sentir l’air s’épaissir, comme avant un orage de chaleur.
Les deux danseurs apparaissent en alternance au tout début, se rapprochant l’un de l’autre, s’apprivoisant. Dans cet espace plus grand que nature, ils ont l’apparence de personnages lilliputiens que la gestuelle du chorégraphe, d’un formalisme éclaté, met en relief. On perçoit, dans les corps dansants que propose Émard, comme un élan festif qui frôle la naïveté et qui ressemble parfois à la marche sautillante, impulsive et déséquilibrée d’un enfant, d’un fou du roi ou d’un petit animal fantastique. Les segments corporels – allant jusqu’aux doigts – sont angulaires, écartelés, disjoints et repliés dans des poses d’une maladresse volontaire plutôt touchante.
Cette cohabitation efficace de tous les éléments qui composent la représentation donne alors droit à des tableaux visuellement et auditivement savoureux, tels les solos de Marc Boivin, tout à fait magistral, et de Sandra Lapierre, techniquement irréprochable; le duo d’ombres chinoises, impliquant les deux danseurs torses nus; ou encore les pas de deux calculés avec la précision d’un horloger.
Le seul reproche que l’on puisse faire au maître d’œuvre, c’est de peut-être avoir voulu, par acte de grande générosité, nous en donner le plus possible. Malheureusement, il en découle quelques petites longueurs, qui sont toutefois assez diluées à travers cette brillante création pour qu’on ne retienne, au bout du compte, que l’aspect génial de Pluie.