Turcaret : Critique: Turcaret
Jusqu’au 27 mars
Au Grand Théâtre
Il y a un réel plaisir à voir se duper les hypocrites, surtout lorsque l’entreprise est menée avec l’intelligence du texte d’Alain-René Lesage, auteur de Turcaret, et la finesse de la mise en scène de Michel Nadeau.
Spectacle mordant et réussi, Turcaret convie les spectateurs à une valse des profiteurs, que Frontin, valet rusé du Chevalier ayant séduit la baronne, résume ainsi: "Nous plumons une coquette, la coquette mange un homme d’affaires, l’homme d’affaires en pille d’autres: cela fait un ricochet de fourberies le plus plaisant du monde." Laquais, servantes, sbires du monde de la finance et mondains complètent le tableau pour participer, eux aussi, à ce tourbillon de tromperies. Motif principal: l’argent; motif secondaire: l’amour, ou plutôt ce qui en tient lieu dans une certaine France du XVIIIe siècle, où priment plaisir et matérialisme.
Flatterie, duplicité, escroquerie: les manœuvres, multiples, astucieuses, amusent. Le texte de Lesage présente une intrigue habilement menée, aux répliques pleines de vivacité. Michel Nadeau, par sa mise en scène, en fait ressortir tout l’éclat et l’ironie, misant avec efficacité sur le jeu: attitudes, mimiques, regards, gestes de connivence prolongent, éclairent les répliques.
Énergiques, enjoués, les comédiens, par leur interprétation, contribuent efficacement à composer une réjouissante galerie de masques. Parmi plusieurs prestations excellentes, retenons celle de Guy Daniel Tremblay, tout à fait crédible en Turcaret, autant dans sa colère jalouse que dans sa vulnérabilité amoureuse ou sa rigidité de financier intraitable, et celle d’Emmanuel Bédard en Marquis viveur, dont il fait un personnage coloré, moqueur et étourdissant de légèreté.
Michel Nadeau a émaillé la pièce de brefs clins d’œil à l’époque contemporaine: ces personnages d’il y a trois siècles sont loin de nous être étrangers. Ces allusions se retrouvent, notamment, dans la musique (Yves Dubois), amalgamant classique et percussions, dans le décor (Monique Dion), associant meubles d’époque et environnement plutôt moderne, et dans les costumes (Catherine Higgins), mélangeant avec audace coupes, textures et couleurs, le tout évoquant aussi un monde de sensualité et de richesse.
Le moteur de l’intrigue, dans Turcaret, est le désir: désir de s’amuser, de posséder. En témoigne une image brillante: celle de plats de bonbons disposés chez la Baronne, et la façon dont chacun les regarde, y grappille ou y plonge à pleines mains.