Christina Iovita : La grande vadrouille
Changer le monde. Nous sommes d’accord, surtout ces jours-ci. Mais comment? Voilà ce qu’interroge la metteure en scène et auteure Christina Iovita avec Romania III, une farce politique incisive présentée prochainement au Théâtre Prospero.
"L’espoir qui reprend dans la gauche traditionnelle, sur ce continent, est un espoir que je reconnais, que j’admire parfois mais qui m’irrite souvent", nous dit d’entrée de jeu l’ardente metteure en scène roumaine, qui se bat pour une réflexion sur des structures nouvelles. "J’ai vu le naufrage du communisme, j’ai vu l’échec de deux ou trois générations d’intellectuels et d’artistes qui tentaient de lutter contre cette dictature. Le modèle que je porte en moi devrait pouvoir aider la gauche à comprendre qu’il faut chercher ailleurs. L’idéologie n’est peut-être pas fautive mais il faut innover quant à la méthode. Alors je veux, par le biais du théâtre, témoigner de cette période historique parce qu’elle me semble un héritage précieux ici."
Éduquer par le biais du théâtre, oui, mais dans une forme qui rejoint le peuple, d’où le choix de passer par le rire pour favoriser une réflexion. "Rire nous permet de voir l’absurdité dans laquelle nous acceptons de vivre", poursuit gaiement Christina Iovita, qui a d’ailleurs fait la preuve de l’efficacité du style l’année dernière avec son Jacques le Fataliste. "Cette fois, nous nous verrons en idiots qui se laissent intimider par l’unicité des propos d’un autre idiot." Celle qui sait utiliser avec imagination les techniques de la commedia dell’arte en les rafraîchissant un peu nous réserve de joyeuses surprises. Outre les valets Arlequin et Colombine, on y retrouvera plusieurs figures sociales qui en prendront pour leur rhume. La figure du maître habituellement capitaliste sera remplacée par un propagandiste considérant l’homme en fonction de sa valeur sociale. Une victime de la mode sera associée… aux artistes!
L’illustration d’une situation qui peut nous sembler similaire ne s’arrête pas là. "Je retrouve ici la sensation d’inutilité que nous avions là-bas, ce sentiment d’impuissance avant même d’avoir tenté quelque chose, ajoute Iovita. Cette soumission des classes éduquées empêche la réflexion sur de nouveaux modèles de société. Or, le rôle de l’intellectuel depuis Platon n’est-il pas de lancer des questions à ce propos? La révolution, c’est bien. Mais l’ennui, c’est qu’on ne sait pas quoi faire par la suite. On a perdu la faculté d’organiser sa liberté. On tue le roi et… Vive le roi!"
Bref, Christina Iovita s’attaque à l’inertie collective. "Je veux exposer humblement une expérience dans une forme théâtrale espiègle et lancer un appel: n’attendez pas d’avoir mille ans de soumission derrière vous avant de vous pencher sur le projet de création d’une cité nouvelle. Personne n’a les poings liés, vous savez. Alors allons-y!"
En voilà une qu’il faudra écouter…
Du 23 mars au 17 avril
Au Théâtre Prospero
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