Lorraine Côté : Dommages collatéraux
Scène

Lorraine Côté : Dommages collatéraux

Figure importante de l’activité théâtrale de Québec depuis près d’un quart de siècle, LORRAINE CÔTÉ s’attaque pour la première fois à la mise en scène d’une tragédie. Créée l’an dernier par le Théâtre Niveau Parking, Iphigénie ou le péché des dieux de Michel Azama est aussi sa première réalisation exportée à Montréal.

Si ce n’est qu’en 2003 que le destin permet à Lorraine Côté de diriger une tragédie, il y a déjà plusieurs années qu’elle se frotte au genre. Enseignante au Conservatoire d’art dramatique de Québec, celle qui vient de recevoir le Masque de l’interprétation féminine donne depuis 1998 un atelier de jeu sur la tragédie grecque. Avide de nouvelles traductions et adaptations à offrir à ses étudiants, elle procède à de nombreuses lectures avant de découvrir la plume envoûtante de Michel Azama, un dramaturge français d’origine espagnole. Créée en France en 1991, Iphigénie ou le péché des dieux est une œuvre limpide et charnelle qui insuffle une étonnante jeunesse au mythe immortalisé par Euripide. Conquise par la pièce, la professeure entreprend d’en travailler des extraits avec ses apprentis. "C’est un texte très direct et pourtant d’une grande beauté. Il est à la fois poétique et extrêmement cru; concret et sensuel. Pour de jeunes acteurs, tout autant que pour de jeunes spectateurs, je trouve que c’est une partition idéale, si près de leur sensibilité." Après que cet exercice lui eut permis d’ébaucher les grandes lignes de son approche, la créatrice convainc ses collègues du Niveau Parking de produire le spectacle, puis sélectionne dix jeunes comédiens issus du Conservatoire: six garçons et quatre filles qui sont tous, un jour ou l’autre, passés par ses classes.

S’inspirant de ses méthodes d’enseignement, la metteure en scène prend le parti de faire jouer les rôles principaux par l’ensemble de la distribution, octroyant ainsi aux protagonistes des apparences et des colorations très distinctes d’un épisode à l’autre. Afin d’établir cette convention, les acteurs s’échangent des accessoires et des vêtements de couleur rouge qui servent d’emblème à chacun des personnages. Ce procédé donne non seulement la chance à ces comédiens en début de carrière de se mesurer à de grandes figures du répertoire, mais aussi de tous appartenir à un chœur.

Des milliers d’Iphigénie
De sa jeune distribution à la grande clarté du texte, nombreux sont les facteurs qui prédisposaient cette production à une rencontre avec un public adolescent. Écrite peu avant la guerre du Golfe et créée en France dans un contexte scolaire, Iphigénie ou le péché des dieux est dédiée par son auteur à la jeunesse d’aujourd’hui, une génération qu’il considère aussi combattante qu’orpheline d’une idéologie rassembleuse. Comme il le dit lui-même dans son introduction à la pièce, "ce n’est pas que rien n’ait changé, c’est que tout est devenu pire: chaque jour dans un lieu du monde s’accomplit le sacrifice de milliers d’Iphigénie". Un point de vue que Lorraine Côté partage entièrement: "C’est une jeune fille que sa société sacrifie pour satisfaire ses ambitions guerrières. À notre époque, elle serait sûrement kamikaze. Son destin est d’une triste et criante actualité."

Si la metteure en scène est à ce point habitée par la nécessité de faire entendre cette interprétation contemporaine de la tragédie, c’est que ses vers donnent cruellement forme à l’immuable engrenage de violence dans lequel est engagée l’humanité. "Ce qui rend le portrait dressé par Azama aussi percutant, c’est son implacable réalisme. Contrairement à Euripide, il n’a pas recours, au moment crucial, à un deus ex machina. Dans sa version des faits, c’est le sang d’Iphigénie qui coule sur l’autel et non celui d’une chèvre."

Du 19 mars au 3 avril
Au Théâtre Denise-Pelletier
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