Pierre-Yves Lemieux : L'homme derrière le mythe
Scène

Pierre-Yves Lemieux : L’homme derrière le mythe

PIERRE-YVES LEMIEUX poursuit le cycle Oreste du Théâtre de l’Opsis avec La Sirène et le Harpon, une création mise en scène par Luce Pelletier et interprétée par Suzanne Clément et David Savard.

"Cette pièce s’adresse à un public aventurier, à des gens qui aiment énormément le jeu!" affirme d’emblée Pierre-Yves Lemieux. L’auteur est visiblement très excité à l’idée de présenter ce spectacle sans compromis, qui promet une performance d’acteurs savoureuse autour d’un texte exigeant, qui invite à la réflexion. "On pourrait faire dix ans avec le cycle Oreste tellement la matière est riche!"

Plusieurs légendes entourent Oreste et Électre. Les poètes tragiques, dont Sophocle et Euripide, se sont chargés d’alimenter abondamment l’histoire des enfants d’Agamemnon et de Clytemnestre et de les immortaliser parmi les figures incontournables de la mythologie et de la tragédie grecques. Lorsque son père fut tué par sa mère et par Égisthe, Oreste n’était encore qu’un enfant. Il sut d’ailleurs être épargné du drame en se cachant sous la robe de sa sœur, Électre. Les deux se réfugièrent chez leur oncle Strophios où, sous les conseils d’Apollon, Oreste entreprit de venger son père en tuant Égisthe et sa mère. Le matricide choqua tellement les dieux qu’ils condamnèrent Oreste à errer dans le souvenir de ses actes, avec le risque de basculer dans la folie, mais aussi la chance de trouver dans les remords et la culpabilité un quelconque salut.

Pour des siècles et des siècles
"Un gars, une fille, le cadavre de la mère entre les deux, et ils n’ont aucun remords!" Voici l’histoire, voici l’intérêt de la pièce. Pierre-Yves Lemieux, pour qui le théâtre est d’abord une prise de parole, s’est intéressé dès le départ, avec l’aventure Oreste, à "l’après-matricide". "On parle toujours du geste, se demandant s’il avait raison ou non de le faire, mais rarement de l’après. Ici, le geste a été commis, analysé, psychanalysé même. Les jugements ont été posés, le procès a eu lieu et les sentences ont été prononcées. Qu’est-ce qui arrive maintenant? On situe les deux: ça fait 2 000 ans, 10 000 ans qu’ils marchent en traînant le cadavre de la mère, puis ils se trouvent bloqués sur un pic de roche devant l’éternité, avec le cadavre. La première réplique dit: "Tu l’as ouverte comme un poisson, on devrait normalement…" Nul remords, nulle peine. "Là, je devrais pleurer", dit-elle plus loin. Ils essayent, par tous les moyens, par toutes sortes de subterfuges (jeux de rôles, monologues, humour, cruauté), de susciter les remords qui peut-être les délivreraient de l’errance. Une situation atroce…"

Circonstance atténuante
Le Oreste de Lemieux ne pointe pas le guerrier meurtrier, mais plutôt le nihilisme contemporain. "C’est le personnage qui m’effraie le plus de tous les personnages sur lesquels j’ai travaillé parce qu’il se refuse continuellement à l’émotion théâtrale, il se dérobe sans arrêt en tant que phénomène spectaculaire. Il affiche sur scène un ton, un air dégagé. Ce n’est qu’une apparence. Ça ressemble à notre société: on n’a jamais eu un monde aussi esthétisant alors que ça craque de partout! Ces deux-là, qui affichent les marques de la beauté, se dérobent et refusent de se donner en spectacle. Ce qui nécessite, de la part des comédiens, toute une performance…" En quelque sorte, le texte renvoie aussi au mythe de Sisyphe. "Ils sont condamnés à revivre éternellement cette journée-là au bord de la plage jusqu’à temps qu’ils aient des remords. Mais c’est difficile, parce que leur mère n’en était pas une pour eux."

Sur scène, il y aura des objets d’aujourd’hui dont un "ghetto-blaster". Par son contexte et par sa langue, d’ailleurs, la pièce est résolument contemporaine malgré le mythe dont elle s’inspire. Un mythe qui n’en finit pas de déranger. "Si je me mets à penser à ce que le monde va en dire, je suis mort comme auteur!"

Du 15 avril au 8 mai
Au Théâtre d’aujourd’hui