Aux portes du royaume – Entrevue avec Hugues Frenette : Soif d’absolu
"Moi, Ivar Kareno, je le défendrais bec et ongles", affirme HUGUES FRENETTE au sujet de son personnage dans Aux portes du royaume, de Knut Hamsun. Dérangeant, porteur d’idées troublantes, inacceptables, Kareno n’en demeure pas moins fascinant.
Après Flamand, savoureux benêt de Turcaret, Hugues Frenette aborde un personnage complexe, énigmatique. Étudiant au doctorat en philosophie, Ivar Kareno adopte une position d’extrême-droite, d’inspiration nietzschéenne. Condamnant son mentor, un humaniste, refusant le compromis qu’accepte son meilleur ami et que lui conseille tout son entourage, il travaille nuit et jour pour défendre ses thèses. Tenant tête à tous, il s’isole et s’enfonce de plus en plus dans ses idées, auxquelles il est prêt à tout sacrifier.
"Kareno est obnubilé par sa propre théorie, explique Hugues Frenette: il souhaite l’avènement de "l’homme essentiel", qui deviendrait le chef des forces de la terre. Le surhomme de Nietzsche, quoi. Le libéralisme, l’humanisme, le mouvement pour la paix, il crache là-dessus."
Si les convictions de Kareno sont indéfendables, c’est sa quête d’absolu qui touche le comédien. "C’est un passionné. Je n’adhère pas à ce genre d’idées-là, mais j’admire, jusqu’à un certain point, quelqu’un qui se voue corps et âme à un idéal. Ses idées, plutôt rébarbatives, servent à illustrer jusqu’où peut aller, chez lui, la recherche d’un idéal. Kareno se met au service de cet idéal: il va tout perdre."
Avant tout, la pièce raconte cependant une histoire "très vivante, fort intéressante à suivre", et présente des personnages denses, vivant des déchirements, et non une série de théories désincarnées. "C’est un drame psychologique, avec une trame politique. Au-delà du discours politique, il y a les rapports entre Kareno et sa femme, qui est le pendant absolu de cette espèce de souhait d’élévation de l’esprit. C’est un couple qui s’aime profondément, mais leurs visions sont irréconciliables. On n’est pas seulement dans les idées: on est aussi dans les tripes. Il y a une relation amoureuse vouée à l’échec: ça, c’est palpitant à jouer, et c’est ce qui prime, même."
Écrite en 1895, Aux portes du royaume est l’une des six pièces, peu connues, du Norvégien Knut Hamsun, Prix Nobel de littérature (1920) célèbre pour ses romans, dont La Faim (1890) et Mystères (1892). Son œuvre présente souvent des personnages un peu mystérieux, contradictoires, qui illustrent "les errances de la pensée et du sentiment, la vie inconsciente de l’âme", écrit-il.
Ce mouvement, Hugues Frenette le sent bien dans la pièce où se côtoient réflexions philosophiques et scènes de jalousie, gravité et préoccupations quotidiennes. "C’est comme si on se laissait aller là-dedans: il n’y a rien de figé, tout se révèle à mesure. On est vraiment dans les méandres de l’inconscient; c’est formidable."
Pour entrer dans ce personnage singulier, "je me suis nourri de textes de Hamsun, mais surtout d’un film danois fait à partir du roman La Faim", confie l’interprète. Images, musicalité de la langue et jeu de l’acteur l’ont inspiré. Ce paysage scandinave, Hugues Frenette, par un heureux hasard, le verra de ses propres yeux: quelques semaines après Aux portes du royaume, il s’envole, avec La Trilogie des dragons, vers Bergen, en Norvège.
Aux portes du royaume, mise en scène par Claude Poissant, qu’assiste Jean Bélanger, réunit les comédiens Yves Amyot, Hélène Florent, Paul Hébert, Pierre-François Legendre, Anne-Marie Olivier, Patrick Ouellet, Édith Paquet, Michel Thériault et les concepteurs Vano Hotton, Marc Sénécal, Sonoyo Nishikawa, Florence Cornet.
Jusqu’au 8 mai
Au Grand Théâtre
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