Michel Dumont et Marcel Sabourin : Exploitation minière
MICHEL DUMONT et MARCEL SABOURIN font revivre Charbonneau et le Chef, une pièce ancrée dans un épisode pour le moins agité de l’histoire québécoise.
"Quand je faisais mon cours classique, raconte Michel Dumont, nos professeurs nous disaient que l’histoire du Québec n’avait pas de héros. On nous faisait lire Cyrano de Bergerac pour se bomber le torse, croyant que les lettres québécoises n’offraient que des perdants." "Bien sûr, ajoute Marcel Sabourin, maintenant on a des héros connus, adulés ou détestés, que sont Lévesque, Trudeau ou Duplessis. Mais qu’en est-il des héros sous silence? Charbonneau et le Chef, c’est en quelque sorte la résurrection de monseigneur Charbonneau, ce héros qui a vécu dans l’obscurité. Son seul moment de gloire fut l’instant où on l’a éliminé."
Michel Dumont et Marcel Sabourin sont excités. Ils se coupent la parole sans s’en rendre compte, sans s’en offusquer. Ils se complètent dans l’enthousiasme. L’objet de la passion? Charbonneau et le Chef, une pièce de l’Ontarien John Thomas McDonough – un ancien dominicain -, adaptée par Paul Hébert et le poète Pierre Morency, et mise en scène par Claude Maher. Créée en 1971 au Grand Théâtre de Québec par le Trident, elle est reprise à la même époque à Montréal et prend les routes du Québec pour les saisons 1973-1974. Après de nouvelles représentations en 1985-1986, la pièce aura touché plus de 264 000 spectateurs…
"Je suis venu vous demander de ne pas vous mêler de la grève d’Asbestos", implorait Duplessis (ici incarné par Sabourin) à Charbonneau (Dumont). Évidemment, celui-ci s’en est mêlé allègrement. C’est tout l’objet de la pièce, qui nous ramène en 1949, autour de cette grève légendaire de 140 jours qui opposa deux personnages de forte stature, qui ne faisaient guère dans la dentelle. Si les personnages ont bel et bien existé et que plusieurs faits sont véridiques, il ne s’agit pas tant d’une fresque historique que d’une allégorie. Pour bien rendre ce moment de notre histoire où un prêtre fut taxé d’être subversif, et à l’égard duquel Duplessis joua de ses relations à Rome afin d’obliger sa démission, on a choisi d’éviter les nuances et de montrer les protagonistes comme de grands personnages de théâtre capables de transmettre des charges émotionnelles fortes et un récit clair, qui se sent et se comprend, même par les gens qui n’ont aucune information sur les événements.
Si le contenu se passe en 1949, le contenant lui, est de 2004. Claude Maher, en plus d’avoir fait beaucoup de recherches, s’est aussi beaucoup investi dans la modernité de la présentation. Dumont a été de toutes les productions: "À la création, j’étais un ti-cul qui jouait le chef de la mine et le chef de police. À l’entracte, tout était fini pour moi! Mais c’était magique de se retrouver avec des monuments comme Jean Duceppe." En 1986, il interprétait déjà Charbonneau. Aujourd’hui, avec 27 comédiens sur scène, "la force de frappe de la masse est merveilleuse", nous assure Dumont, qui ajoute que "comme spectateur on embarque, on comprend, et comme la charge émotionnelle est tellement efficace, on n’a pas besoin de refaire l’historique."
Sabourin regarde Dumont et pense tout de suite à Charbonneau: "Il se trouvait à être à l’avant-garde de Jean XXIII et de Vatican II. C’est fort la conscience sociale qu’il avait pour quelqu’un qui n’était pas un docteur en sociologie de l’Université Laval comme le père Lévesque. Il avait un sens de la justice et il faisait les choses avec cœur." "C’est comme s’il appliquait à la réalité les grands principes nouveaux qui étaient émis par le père Lévesque, ajoute Dumont, et pour la grande majorité des membres de l’Église, Charbonneau devait être perçu comme un empêcheur de tourner en rond. Voilà pourquoi ils s’en sont débarrassé!"
À l’heure où la majorité se sent flouée par ses dirigeants, il y a indéniablement quelque chose d’actuel dans cette pièce qui se termine sur cette phrase: "Le reste est notre silence."
Jusqu’au 22 mai
Au Théâtre Jean-Duceppe
Voir calendrier Théâtre