Aux portes du royaume : Critique: Aux portes du royaume
Jusqu’au 8 mai
Au Grand Théâtre
Ce qui étonne dans Aux portes du royaume, c’est qu’un personnage aux idées aussi repoussantes que le sont celles d’Ivar Kareno puisse attirer, par moments, la sympathie. Parfois dur et intransigeant, parfois pathétique, ce jeune philosophe bâtit son propre malheur.
Étudiant au doctorat, Ivar Kareno professe des idées d’extrême droite. Espérant voir l’ouvrage auquel il travaille publié sous peu, il écrit sans cesse, négligeant sa femme Élina, attaquant durement ses contemporains. Parmi eux, le professeur Gylling, humaniste respecté, lui recommande d’adoucir ses thèses pour se garantir un avenir. Ni ces conseils, ni l’accablement d’Élina, ni les supplications ou les menaces de son meilleur ami n’y font: il refuse tout compromis. Difficultés matérielles, hostilité à ses idées, solitude iront alors en s’aggravant pour le personnage, jusqu’à ce que tout, autour de lui, s’effondre.
Présentant des éléments de réflexion sociale et politique, l’œuvre de Knut Hamsun pose, surtout, un regard sur la destruction qu’engendre, chez Kareno et ses proches, son obstination. Ainsi, réflexion et sentiments se mêlent, et brossent le portrait de personnages naviguant entre ces deux mondes, et les contradictions auxquelles ils se heurtent.
Hugues Frenette, dans le rôle de Kareno, livre une très forte interprétation: il rend très bien son orgueil, sa propension à s’extraire du monde, à tenir la vie à distance pour penser, tout en suggérant, par d’infimes variations dans les gestes ou dans le ton, la naïveté du personnage, et sa fragilité.
Avec lui, distribution très solide: Hélène Florent campe une Élina touchante, mélange de détermination, de joie de vivre et de tristesse; à leurs côtés, professeur (Paul Hébert), servante (Anne-Marie Olivier) et amis (Yves Amyot, Pierre-François Legendre, Édith Paquet) composent une galerie de personnages interprétés avec nuances. Au piano, Patrick Ouellet, sur scène, module les émotions de Kareno.
Le décor (Vano Hotton), constitué d’un plateau fixe et d’éléments amovibles, se modifie au fil de la pièce, isolant parfois, par son mouvement, les personnages dans l’espace. En parallèle, changements dans l’éclairage (Sonoyo Nishikawa): la lumière, plus crue, éclaire un plateau de plus en plus dépouillé. Mise en scène et scénographie soulignent le déclin du personnage et son isolement croissant, dans un lent, inexorable mouvement.
Mise en scène épurée, jeu plein de profondeur, très belle scénographie: Claude Poissant propose ici une fine lecture d’Aux portes du royaume, dont la clarté n’exclut pas une fascinante part de mystère.