Joe – Entrevue avec Daniel Soulières : Masse critique
Scène

Joe – Entrevue avec Daniel Soulières : Masse critique

S’il y a une pièce-culte de la danse contemporaine, c’est bien Joe de Jean-Pierre Perreault. Novatrice en 1984, cette critique de l’uniformité sociale n’a pas pris une ride, selon DANIEL SOULIÈRES, qui l’a dansée des dizaines de  fois.

La toute première version de la pièce fut créée en 1983 sur des étudiants de l’UQÀM. "Pour moi, c’était une pièce monumentale", se souvient Daniel Soulières. Joe eut un tel impact qu’il fut immédiatement repris avec des danseurs professionnels. Soulières, qui venait alors de fonder Danse-Cité, fut de la distribution. Fidèle à Joe, il est depuis lors le seul à en avoir dansé toutes les reprises.

Eironos, La Vita, Les Années de pèlerinage, Nuit… Jean-Pierre Perreault a créé de nombreuses œuvres admirables après Joe, mais aucune n’a connu sa popularité. C’est le chorégraphe lui-même qui, avant de mourir en 2002, a demandé la reprise de Joe.

Vêtus de larges manteaux, de feutres et de lourdes bottes, les 32 Joe se confondent en une masse asexuée et sans âge. Joe, c’est l’anonymat dans l’uniformité, la masse rassurante mais tyrannique. À l’époque, cette limpidité du message était contraire à ce qui se faisait en danse contemporaine, rappelle Soulières. "Avec Joe, on sortait de l’abstraction. Le discours était clair, un discours sur la masse, la collectivité, sur l’individu qui était confronté constamment à un dilemme: le besoin de se rebeller et le besoin de se conformer."

Perreault innovait également en présentant un spectacle entier sans trame musicale, puisque seules les bottes des danseurs font la musique. Selon Daniel Soulières, plusieurs chorégraphes ont alors pris conscience du fait que le mouvement porte sa propre musicalité. Et puis, propos oblige, Joe inverse la place du chœur et des solistes. Lorsque des personnes sortent du rang, elles dansent derrière le groupe et non devant.

Pour tout danseur, dont le souci habituel est de se démarquer par sa virtuosité, Joe est une expérience étrange. "Il faut vraiment se fondre dans la masse. On est là pour disparaître au profit du message de Jean-Pierre. Plus on est anonymes, plus on respecte l’œuvre. Mais même si ça parle d’anonymat, je peux m’exprimer à un degré très profond", considère étonnamment le danseur.

Si la gestuelle est plutôt simple, les déplacements sont épuisants, le costume étouffant. "Ce sont de grands mouvements de masse. C’est vraiment une pièce collective ou l’on doit être à l’écoute autant musicalement que sur le plan de la danse. Mais quand l’osmose se fait, c’est très gratifiant d’être 32 danseurs à jouer la même partition avec les pieds…" Sans parler de la réaction du public qui est très palpable.

La seule échappatoire possible pour un Joe semble être la fenêtre lumineuse en fond de scène. Quelques-uns tenteront la pénible escalade vers ce bout de ciel bleu, tous retomberont dans une mer de Joe. En 1994, Perreault a cependant décidé d’une fin porteuse d’espoir. "Il a ajouté un couple de Joe, dont je suis, qui trouve une autre issue", dit Daniel Soulières. C’est d’ailleurs cette version définitive qui a été filmée pour la télé.

"Je rappelle toujours aux danseurs que peu importe ce qui arrive aux individus, une flamme persiste toujours en eux, disait d’ailleurs le créateur de Joe en 1994. L’âme ne peut être éradiquée."

Le 26 avril à 20 h
Au Grand Théâtre
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