La Sirène et le Harpon : Corps célestes
Scène

La Sirène et le Harpon : Corps célestes

La Sirène et le Harpon? C’est l’instant. L’instant d’une durée indéterminée, celui de l’après, de la réflexion qui suit les grands gestes ou les gestes de trop. C’est aussi l’instant d’avant, le point de friction, celui où l’on cherche de quoi s’appuyer pour passer à autre chose. C’est l’instant en quête d’une rédemption. Mais l’instant est vaste et le souffle sans fond.

Le souffle, il provient d’abord de Pierre-Yves Lemieux, l’auteur du texte de création qui termine le cycle Oreste du Théâtre de l’Opsis. Mais le souffle vient aussi de David Savard et de Suzanne Clément qui ont su cerner le mouvement, l’errance du surplace, avec rigueur. Par eux, l’humour, l’indifférence et le tragique proposés par le texte prennent l’envol mérité.

On a Oreste et Électre sur une plage. Ils écoutent de la musique, lisent un brin, se baignent. Lui, il s’entraîne, admire son corps et affiche la légèreté des affranchis ou des naïfs, des irresponsables. Or, il est coupable d’un matricide et elle, elle veut savoir. Elle veut qu’il raconte à satiété le geste qu’il a commis il y a mille ans, dix mille ans. Elle cherche le détail de plus, celui qui parlera. Ensemble, ils se livrent à des jeux de rôles visant à faire éclater l’émotion salutaire. À leurs côtés, le cadavre de la mère qui les hante et les nargue. Pierre-Yves Lemieux a décidé de se concentrer sur ce moment. On ne voit pas, on ne sait pas qu’Oreste sera purifié à Delphes, qu’il ira à Tauride chercher la statue d’Artémis, et qu’il vieillira paisible, régnant sur Argos.

Avec brio, Lemieux dissèque la crise et s’aventure dans le labyrinthe de la conscience. Il marie l’humanisme de Sartre au cynisme de Beckett en nous présentant un constat dur, et apparemment sans issue, tout en cherchant continuellement à extraire la fibre humaine d’où jaillira l’espoir. En abordant le mythe sous cet angle, Lemieux porte un regard sévère sur les temps actuels. Le superficiel, le culte du corps, le mensonge, le faux-fuyant, le vide, tout ça est livré de façon subtile mais criante de vérité. On sent le besoin urgent de contester, de parer cette situation du nihilisme contemporain.

Selon votre état du moment, la pièce peut s’avérer une charge ou un exutoire, mais elle véhicule autant d’humour que d’émotions rocailleuses.

Jusqu’au 8 mai
Au Théâtre d’Aujourd’hui
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