Ubu sur la table – Entrevue avec Olivier Ducas et Mathieu Gosselin : Délire à deux
Scène

Ubu sur la table – Entrevue avec Olivier Ducas et Mathieu Gosselin : Délire à deux

Alfred Jarry, sûrement, se réjouirait du sort que réserve à son Ubu roi le Théâtre de la Pire Espèce. S’emparant de cette fantaisie d’étudiants d’abord écrite pour marionnettes, la jeune compagnie de Montréal a concocté un spectacle inventif et plein d’humour: Ubu sur la  table.

Rarement fait-on, au théâtre, des auditions dans une cuisine. Pourtant, c’est bien là qu’ont été choisis la plupart des "acteurs" d’Ubu sur la table. Livrés aux mains d’Olivier Ducas et de Francis Monty, créateurs du spectacle, bouteille de vinaigrette, lavette, marteau, ustensiles et aliments racontent, avec un talent et une expressivité étonnantes, l’histoire sordide du plus grotesque des tyrans. Père Ubu, poussé par son ambitieuse femme, tue le roi et usurpe le trône; il exerce un pouvoir despotique, à grands coups d’impôts abusifs et de purges arbitraires.

Créée en 1896, Ubu roi s’accommode parfaitement de ce traitement en théâtre d’objets dont la folie sied bien au caractère unidimensionnel des personnages imaginés par Jarry. "Ça marche pas trop si tu essayes de faire de la psychologie, expose Olivier Ducas. Ce que l’objet amène à l’œuvre, c’est beaucoup de ludisme et un certain caractère symbolique: la force d’évocation des objets apporte un aspect épique au spectacle même si, étonnamment, c’est aussi ce qui amène la farce."

Présenté dans de petites salles, le spectacle repose sur la connivence entre les deux comédiens, jouant et manipulant à vue, et le public. "C’est moins une démonstration de notre imagination à nous que le recours à l’imagination du spectateur, avance Ducas. On préfère l’allusion à l’illusion. On joue aussi sur le rapport direct avec le spectateur: on fait des apartés, on le prend à témoin. On est derrière, toujours très présents; ça permet de créer des lectures simultanées. Si je regarde mon objet, et qu’il est en vie, j’amène le regard du spectateur sur l’objet; si je quitte l’objet pour regarder mon partenaire, on voit qu’il se passe quelque chose en haut aussi; si je regarde le public, c’est encore autre chose. Ce jeu-là, c’est vraiment un jeu de rythme."

Pour permettre à Ubu de sévir à deux endroits en même temps – tournée oblige -, Ducas et Monty se sont adjoint deux autres comédiens: Marc Mauduit et Mathieu Gosselin. Ce dernier raconte: "La première fois que j’ai vu Ubu sur la table, j’ai trouvé ça brillant et génial. Il y a un plaisir fou à voir ça parce que c’est très ludique, et en même temps, tu peux être réellement touché, même par… des théières. Il y a quelque chose d’universel et aussi, d’enfantin là-dedans: ce sont deux personnes qui s’amusent avec des objets; et les gens y croient! C’est ça le plus fascinant."

"Faire apparaître un objet sur scène, c’est d’une puissance incroyable, poursuit son acolyte. Quant tu essayes de jouer à côté de l’objet, tu es vraiment moins intéressant que lui: l’objet est un fuseau, alors que toi, tu représentes plein d’affaires. Tu fais des petits gestes, tu as l’air d’un humain: c’est bien petit… Tandis qu’un objet, c’est très fort, c’est un totem. On aime beaucoup les humains… mais il y a là une puissance d’évocation inégalée."

Né d’un atelier de travail sur "la précision du mouvement au théâtre", Ubu sur la table, depuis 2001, a voyagé au Québec, en France, en Belgique et au Mexique. En plus de la version en français et en espagnol, il existe même une version en langage signé: Ubu sourd la table. À venir: d’autres tournées, au Québec, en Europe et, pour la première fois, en Espagne.

Grand succès, donc, pour cette production au dispositif léger, "qui tient dans deux valises". "Ça a toujours été notre position de création: faire beaucoup avec peu", rappelle Olivier Ducas. Pari tenu.

Le 6 mai à 17 h 30
À l’Anglicane
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