Denis Lavant et Kristian Frédric : Le festin nu
Clou de la programmation du 10e Festival international de littérature, La Nuit juste avant les forêts risque de décaper les murs de l’Usine C. Pour interpréter le texte pyrotechnique de Bernard-Marie Koltès, le metteur en scène KRISTIAN FRÉDRIC a choisi un virtuose de l’émotion: DENIS LAVANT.
Un acteur sur une plaque, fixé, telle une sculpture de Giacometti. Le pied dans le socle et la tête vers le ciel. "Il fait partie intégrante de ce monde et il ne peut pas s’en échapper", nous dit Kristian Frédric, metteur en scène français qui a déjà monté des textes de Fernando Arrabal et de Mercé Rodoreda, comme il a été l’assistant de Patrice Chéreau. Il parle aujourd’hui de La Nuit juste avant les forêts, de Bernard-Marie Koltès (1948-1989). "J’ai eu ce spectacle en tête pendant sept ans avant de le monter une première fois en France, en 2000. J’avais un texte près de moi, L’homme qui marche sous la pluie, écrit par le sculpteur Giacometti, puis j’ai pensé au film de Léos Carax, Boy meets Girl, et voilà… J’ai eu envie de travailler avec ce comédien dont je ne connaissais même pas le nom, mais dont j’étais persuadé que le texte de Koltès avait été écrit pour lui!"
Le comédien en question, l’acteur fétiche de Léos Carax, est pratiquement une figure culte du cinéma français. Ironie du sort pour Frédric, Denis Lavant est d’abord un homme de scène, bien qu’il soit ici connu grâce au grand écran, aux films de Chéreau, Carax, Hossein, Weber ou Lelouch. "Je suis définitivement un homme de théâtre. Le cinéma c’est un plus, c’est arrivé par hasard", dit le principal intéressé. Avec plus de 70 pièces importantes derrière la cravate, Denis Lavant s’aventure pour la première fois dans un Koltès, et pour la première fois dans un monologue, qui en l’occurrence consiste en une seule phrase de 70 pages! "Ça parle de la difficulté ou de l’impossibilité de communiquer. Et le théâtre, c’est que ça: la communication!"
Mais la pièce traite aussi de l’idée de trace, et pourtant, le théâtre, c’est l’éphémère. "L’éphémère, c’est essentiel, c’est la seule notion de trace possible, croit le comédien. Ça ne peut pas être un produit, c’est forcément quelque chose qui laisse une trace émotionnelle ou spirituelle dans la tête et dans les yeux des spectateurs. Et un spectacle n’est jamais arrêté, selon un soir ou l’autre. Ça évolue, et particulièrement avec ce genre de texte qui se joue vraiment en fonction de l’écoute, en fonction du public, et même parfois en fonction du temps."
Le choc du réel
"Ce texte est d’un abord ardu, poursuit Lavant. Il s’approche pratiquement comme un texte poétique, c’est-à-dire que l’on doit aller chercher les images proposées par l’auteur, sculptées dans une syntaxe parfois compliquée, qui extrait des morceaux du récit. Tout un monde apparaît dans ce texte qui est, si on veut, une solitude habitée." La Nuit juste avant les forêts est un cri de désespoir, un cri d’amour. Le type qui est sur scène et qui profane cette parole n’est pas vraiment seul car il crée l’illusion d’une dualité. "Il faut vraiment garder toute sa tête pour jouer ça car c’est un itinéraire très complexe, avec beaucoup de têtes à l’intérieur du personnage, beaucoup de niveaux d’humour possibles. Ça demande plein de disponibilité pour accueillir toutes ces images, tout ce monde-là, et les faire entendre aux spectateurs. Ça exige un abandon et une maîtrise à la fois."
Le personnage évolue vers une nudité, de corps comme d’esprit. "Il se dépouille de ses apparences en même temps que ses vêtements se défont. Il est de moins en moins dans le mensonge ou dans les histoires qu’il raconte. En plus, il est obligé de se rencontrer lui-même, d’arriver finalement à une unité intérieure. Il va vers une seule réalité, un moment où il se fait fracasser la gueule dans le métro par des loubards, une réalité qui le fait sortir de là en comprenant enfin quelque chose."
La pièce est aussi riche des décors et des costumes du bédéiste et réalisateur Enki Bilal. En filigrane, Giacometti. En écho: Jim Morrison et Léo Ferré. Le tout: une quête de lumière, de chaleur humaine.
À l’Usine C
Du 6 au 9 mai et les 11 et 12 mai