Incendies : Le ring intérieur
Scène

Incendies : Le ring intérieur

"N’accepte pas, n’accepte jamais. Pour pouvoir refuser, il faut savoir parler", avance l’un des personnages d’Incendies. Une pièce qui nous amène ailleurs, aux frontières de la haine et de l’amour, du poème et de la balle de fusil, là où les mots raisonnent les maux.

Incendies, créée l’an dernier au Festival de théâtre des Amériques, est une pièce organique où tous les ingrédients forment un tout, un objet théâtral unique, où la complexité est si habilement transmise que tout paraît simple. L’architecture du texte de Wajdi Mouawad comprend de multiples fenêtres s’ouvrant sur plusieurs panoramas, de multiples tours proposant plusieurs points de vue, mais tout s’imbrique comme un jeu d’enfant. À mesure que le récit se déroule, les pièces se placent toutes seules, laissant passer entre elles la lumière nécessaire qui nourrit l’espoir, la compréhension, mais se fait aussi de repoussoir, aveuglement, pour nous tenir en haleine. Il y a un effet de suspense des plus réussis, aussi, et il faut se méfier de trop décrire l’histoire pour ne pas atténuer le choc et l’impression forte que laissera l’issue de la pièce.

"Putain, câlisse, crisse, fuck, fuck, fuck!" crie Simon (un jeune boxeur incarné par l’excellent Reda Guerinik) face à l’incompréhension, au manque de moyens. Sa mère vient de mourir et il ne peut pas la pleurer. Pour l’instant, il la déteste, ne l’a jamais comprise, ne s’est jamais senti aimé par elle. Maintenant seul avec sa sœur jumelle, ils se retrouvent chez le notaire à recevoir les dernières et curieuses volontés de cette mère qui gardait mystérieusement le silence depuis plusieurs années. "Maintenant que nous sommes ensemble, ça va mieux", sont les dernières paroles qu’elle a dites, peu de temps avant de mourir. Pourquoi est-elle sortie de sa léthargie avec cette phrase énigmatique? Et les enfants, malgré eux, écoutant une force qui les attire sur la trace de leurs origines, partent à la recherche d’un père et d’un frère qu’ils croyaient morts. Ce voyage s’avère une véritable quête initiatique, menant de surprises en découvertes, d’expériences en rituels de passage, de formations en apprentissages. "Il y a des vérités qui ne peuvent être révélées qu’à condition d’être découvertes", entendons-nous dans la pièce, à la fois comme un leitmotiv et comme une clé du suspense.

Les mots sont là, sinon ils s’acquièrent, comme les mathématiques, les théorèmes, les théories. La pensée se dessine et les émotions se forment, changent, évoluent. Tous les personnages de cette pièce, aussi rigides semblent-ils être au départ, arrivent à s’ouvrir. Leur esprit juge, évalue, mais ne condamne pas. Ne condamne plus. Ils traversent quantité de difficultés, de violences, de peines, comme autant d’étapes pour raisonner, intégrer, digérer avant de saisir, de vivre, de savoir ce qu’est la responsabilité. La haine maintenant fait pâle figure devant la survie, devant l’apprentissage, devant les possibles de l’amour, devant la capacité d’aimer.

La pièce étonne et laisse des marques. Elle stimule, provoque des réflexions. Les neuf comédiens à l’œuvre, dont Annick Bergeron, Andrée Lachapelle, Isabelle Leblanc, Gérald Gagnon et Richard Thériault conjuguent leurs jeux en un travail d’équipe remarquable, très brillant.

Jusqu’au 22 mai
Au Théâtre de Quat’sous
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