Quelques éclats de verre : La grande séduction
Un bar sans nom, des objets de désir interchangeables, voilà ce que propose la compagnie Théâtre à corps perdu avec Quelques éclats de verre, un montage d’après Grand et petit de Botho Strauss mis en scène par Geneviève L. Blais au bar Le 980.
Sortir le théâtre de son cadre habituel et demander ainsi au public d’en redéfinir les conventions, ce n’est pas exactement nouveau. Toutefois, le travail à ce propos de Geneviève L. Blais mérite le détour. C’est que l’absence de frontière délimitant la scène et la salle crée un effet des plus étonnants…
Une femme, Lotte, entre dans un bar avec sa valise alors qu’elle vient de quitter son mari. Mis à part le public disséminé un peu partout, il y a une femme au comptoir se fondant dans l’alcool, un couple qui ne se trouve plus, un homme collé à son cellulaire, un disc-jockey, un dragueur. Il y a aussi cette femme qui tient la main de son voisin, prisonnière sans le vouloir de l’image que l’on sélectionne en voyeur. Figurants malgré eux, les spectateurs non seulement se retrouvent impliqués physiquement dans l’action mais perdent toute notion d’objectivité. C’est que les acteurs choisissent sciemment d’implorer notre attention par des jeux de regard souvent équivoques, participant à recréer cette ambiance triste d’oiseaux de nuit solitaires ayant soif de l’autre.
Sans parole ou presque, les acteurs composent également une langue corporelle très typée, particulièrement intéressante. Pascal Auclair y livre notamment une véritable performance physique alors que Katia Gagné nous éblouit, incandescente dans le rôle de cette femme qui tangue.
Si l’exploration du lieu public se révèle ici troublante, le propos qui la sous-tend manque toutefois de profondeur. On attend longtemps le fil conducteur qui pourrait transcender la forme conceptuelle, aussi réussie soit-elle. L’utilisation de plusieurs supports au texte (bande-son, spoken word) contribue à l’effet esthétique tout en diminuant la possibilité de voir une certaine cohérence au spectacle. Malgré le charme de la proposition, on quitte avec la fâcheuse impression que tout ce talent a peut-être manqué d’assises.
Jusqu’au 13 mai
Au bar Le 980 (980, rue Rachel Est)