Tavernes : Brèves de comptoir
Quelle merveille inattendue que cet étrange pèlerinage dans lequel nous entraîne Alexis Martin! S’inspirant des rencontres qu’il fit lors de ses passages dans les tavernes de la Métropole, l’acteur, dirigé par Daniel Brière, a élaboré un spectacle d’une rare intimité. De la naissance du fils à la mort du père, l’artiste-personnage livre sans hésitation de larges bribes de son histoire personnelle. L’air de rien, le propos passe du particulier à l’universel et tout un portrait de l’identité masculine s’étoffe sous nos yeux. Un tableau qui exprime, avec tendresse et lucidité, à quel point "l’homme est une machine à se fuir lui-même".
Tirant profit d’un plateau particulièrement vaste pour une aussi intimiste suite de confessions, la scénographie de David Gaucher s’approprie brillamment les lieux. S’il mise sur les incontournables icônes de ce type d’établissement (horloge lumineuse à l’effigie d’une marque de bière, afficheurs électroniques, interminable zinc aux pourtours chromés, téléviseurs…), l’espace incarne davantage une vision fantaisiste (voire par moments carrément surréaliste) du traditionnel débit de boisson. Ainsi, le bar s’enfonce dans le sol et les réfrigérateurs servent de passages, déversent des anguilles ou renferment des cadavres. Secondé par un barman (Marc-André Charron) dont la présence subtile et nécessaire lie les éléments du spectacle, Alexis Martin offre une véritable performance en endossant seul une dizaine de personnages. Appuyé par les éloquents costumes de Mérédith Caron et les éclairages contrastés de Martin Labrecque, l’acteur atteint la métamorphose. Il est tour à tour poète, vendeur de marchandises volées, juif hassidique, transsexuel, reporter-journaliste, homme-caoutchouc et vieux comédien aigri; autant d’hommes dont il campe aisément les caractères nuancés. Semblable à un filtre, il récupère leurs drames, leurs folies et leurs questionnements pour les amalgamer à sa propre vision du monde et restituer sur scène des figures attachantes dont le discours élève et transcende celui qu’on associe trop spontanément à ces lieux de beuveries. Avec son exceptionnelle authenticité, cette production du NTE semble en mesure de rejoindre un bien large public.
Jusqu’au 15 mai
À Espace Libre
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