Marcel Pomerlo : L’enfant d’eau
Avec L’Inoublié ou Marcel Pomme-dans-l’eau: un récit-fleuve, MARCEL POMERLO ouvre une grande porte sur son intimité, livrant réflexions et souvenirs liés à un passé écorché. De ces eaux troubles rejaillissent des bribes de son enfance, de la mort connue trop jeune, du deuil sous toutes ses formes.
Voilà deux ans que Marcel Pomerlo (né Pomerleau) présente la pièce L’Inoublié, qu’il avait créée au MAI à Montréal en septembre 2002. Cofondateur et membre actif du Théâtre Momentum, collaborateur de la Compagnie de danse Pigeons International, comédien incarnant aussi bien des personnages classiques que contemporains, Pomerlo poursuit depuis 20 ans une carrière brillante et atypique ponctuée de quelques apparitions télévisées. Son visage est peu connu, mais sa peau laiteuse, ses yeux bleus et profonds, son crâne rasé et sa silhouette svelte ne laissent personne indifférent.
Joint au téléphone, Pomerlo a la voix d’un homme serein qui a atteint une certaine quiétude au fil des représentations de son "récit-fleuve", qui s’inscrit dans la démarche introspective de l’autofiction, genre de plus en plus exploité dans la littérature, les arts visuels, le cinéma, mais très peu au théâtre. Dans L’Inoublié, Pomerlo ne s’aventure pas dans le bavardage banal du témoignage, il exploite plutôt l’autobiographie en empruntant la forme narrative de la fiction: "Je souhaitais outrepasser l’anecdote, je n’étais pas du tout intéressé par l’expression du journal intime de Marcel Pomerlo."
L’Inoublié a trouvé son essence un certain 2 juillet 2000, alors que Marcel Pomerlo a été témoin d’un accident mortel emportant deux jeunes filles au coin de son immeuble. Les cris plein la tête, il se rend alors compte que son frère Momo, décédé lorsqu’il était enfant, aurait entamé la quarantaine ce même jour. Quelques heures plus tard, au matin, il apprend la mort de Luc Durand, grand ami de toujours, mais surtout héros de son enfance. Cette nuit-là, il écrivait, sans le savoir, son premier texte qui serait porté à la scène.
Pomerlo porte dans cette production tous les chapeaux, celui d’auteur, de metteur en scène, de scénographe, de comédien, avec pour seul "œil extérieur" Dominique Leduc, qui l’aide et le conseille. "La plus grande difficulté était de trouver la distance qui me permettrait la transposition dans le jeu, dans le ton et dans l’esprit du récit. Étant donné que c’est une écriture très personnelle, je devais trouver ma musicalité, mon rythme. De là a surgi le personnage, puisque ce n’est pas moi que je joue; il y a bien un personnage", affirme Pomerlo qui a vu son œuvre publiée aux Éditions du Lilas, l’an dernier.
Exhibition
Sur la scène, Marcel Pomerlo s’est entouré d’éléments kitsch, tirés de décors des années 60-70, ainsi que d’une bande sonore où l’on entend notamment les Michèle Richard, Emmanuelle et Renée Martel, comme des émanations de sa mémoire. Il a incorporé une exposition des tableaux de Claire Jean, directement inspirés du récit de M.P. Des bassines d’eau sont également à ses pieds pour agrémenter sa création qui passe aussi bien du burlesque au tragique.
"L’exercice d’être seul sur scène est en soi très particulier, d’autant plus que dans L’Inoublié, je m’adresse aux gens, donc il n’y a pas de quatrième mur. Je me dois d’aller d’une façon très puissante vers le public, sinon, ça demeure uniquement l’histoire de M.P., alors que je veux aller plus loin, explique-t-il. J’imagine que les chanteurs sont plus habitués à ça… Au théâtre, on a des conventions qui nous protègent, mais ici, je n’ai pas beaucoup de protection. J’y plonge tous les soirs."
L’eau est un élément important dans le récit de Marcel Pomme-dans-l’eau, qui a peur de mourir noyé. Il apprendra à nager comme on apprend à vivre, encouragé par sa mère Blanche, qui est "fascinée par l’eau", et par son père Sauveur, "qui creuse des lacs".
Le jeune M.P., que l’on décrivait "beau comme une fille" et qui était le mouton noir de ses camarades d’école a donc craint la mort très jeune: "J’ai une notion de l’enfant en moi qui n’est pas du tout dans le courant de ce qu’on entend aujourd’hui. Je crois que l’enfance peut être quelque chose d’extrêmement douloureux, de très difficile. L’enfant a beaucoup de force et il a une lucidité qui est beaucoup plus acidulée et intelligente que l’on pense. De plus, l’enfant a une très grande compréhension de ce qui est grave", explique Marcel Pomerlo d’une voix qui semble faire écho à de vieilles blessures. Le comédien ajoute qu’il n’aurait pu faire ce spectacle il y a 10 ans, alors que maintenant ses deuils sont bien derrière lui: "À partir du moment où, dans mon esprit, c’est devenu un objet théâtral, j’ai pu créer et ç’a été libérateur. La création se nourrit totalement de ce qu’on est, de notre intelligence, de nos émotions, de nos expériences. Si on ne se débarrasse pas de nos conflits intérieurs, c’est impossible. Le récit me ramène à mon enfance, mais davantage aux beaux souvenirs de Momo qu’à l’enfant qui a vécu dans l’adversité et dans le deuil." Il souhaite donc que son histoire réfléchisse celles des spectateurs, prenant le mot deuil sous toutes ses formes: "Fondamentalement, ça pose des questions sur notre propre finalité, mais aussi sur le deuil au sens large du terme: celui de la perte d’un rêve, d’un amour, d’un être cher, d’un souvenir. Mais la pièce est aussi très lumineuse, c’est d’abord un hymne à la vie!"
Pudeur
Marcel Pomerlo a décidé d’aller dans la véracité de tous les faits et lieux de son histoire: "J’avais le choix d’aller complètement dans l’authenticité ou de tout transformer, l’entre-deux m’était impossible. Mes parents ont des noms hyper-théâtraux qui sont significatifs dans le récit. Pourquoi les changer? Je ne les aurais pas appelés Denis et Nicole! Je suis donc allé très nettement dans les détails des noms, dates, coins de rues, etc. De cette façon, les figures deviennent plus symboliques et archétypales. Ainsi, Luc Durand, ce Gobelet à l’image de clown un peu tragique, cet être décalé par rapport aux autres, prend t0ute sa signification dans la pièce."
Mais est-ce que Marcel Pomerlo laisserait un jour quelqu’un d’autre jouer M.P. et ainsi entrer dans son univers? "La pièce, c’est mon regard sur les choses, sur la vie, sur la mort, réfléchit-il. Il y a des metteurs en scène qui m’ont posé la question et il y a un Suisse et un Français qui aimeraient jouer le rôle. J’aurais une grande réticence à léguer les droits. J’ai une pudeur non pas en tant qu’acteur, mais du point de vue personnel. Le théâtre, c’est la liberté et je ne voudrais pas voir le souvenir de Momo ou les figures parentales défigurés! Ça dépasserait mon entendement. Si quelqu’un décide que Momo, c’est un clown avec des oreilles en plastique, ça peut être théâtralement intéressant, mais personnellement, là, ça pourrait commencer à être douloureux." Pomerlo veillera donc à ce que sa mémoire reste intacte en gardant la tête bien hors de l’eau.
Les 6,7 et 8 mai à 20 h
Au Studio du CNA
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