Guerre : De l’amour et des restes humains
Bien que Guerre, du Suédois LARS NORÉN, propose une incursion au cœur d’un univers en ruine, elle est loin de constituer un aller simple vers la déprime. SIMONA MAÏCANESCU, comédienne, explique la beauté de cet hymne à la vie.
"Vous n’avez rien à jouer, vous devez seulement être là. Ne cherchez pas les sentiments: ça, c’est le travail du public!" C’est Simona Maïcanescu qui, incarnant un personnage implosif plutôt qu’explosif dans Guerre, nous rapporte ici les paroles du metteur en scène et dramaturge Lars Norén. Norén, qui a commencé sa carrière artistique en publiant une vingtaine de recueils de poésie de 1962 à 1972, se consacre entièrement à la dramaturgie depuis le début des années 70. Près de 60 pièces plus tard, celui que l’on a longtemps considéré comme le successeur de Strindberg, celui qui a aussi succédé à Ingmar Bergman à la direction du Théâtre national de Suède, est maintenant le Suédois le plus joué à l’étranger. Au fil des ans, son style s’est épuré, s’est fragmenté, s’est radicalisé. Celui pour qui "la vie est la suite de la guerre avec d’autres moyens" continue de disséquer la cellule familiale d’une manière obsessive, et pousse le théâtre, par le truchement des drames intimes, dans les débats sociaux.
"Lars nous fait dignement descendre dans une espèce de tunnel jusqu’à l’estomac. Il a éveillé des choses que je voulais oublier. J’avais envie de pleurer, mais il me disait doucement de ne pas avoir peur, d’aller jusqu’au bout." Simona Maïcanescu, une Roumaine d’origine ayant connu le régime communiste et qui vit à Paris depuis 10 ans, ne tarit pas d’éloges pour le dramaturge. "On raconte des horreurs, des choses terribles dans cette pièce. Pour que tout se passe bien, nous répétions dans la plus grande tendresse, douceur, compréhension, générosité, dans le calme, et avec un amour et un respect pour les comédiens que j’ai rarement vus depuis que je fais ce métier."
Guerre évolue dans une zone sinistrée, un lieu imprécis à une époque floue. Sur la scène: quelques chaises, quelques matelas au sol. Le quotidien normal a foutu le camp. Nous sommes devant une famille en ruine au milieu des décombres, face aux restes ou à l’essentiel. En l’absence de repères ou de jalons réguliers, tout est permis. On imagine ce qu’ont pu traverser les personnages, devenus méfiants du genre humain comme seuls peuvent l’être les grands blessés. L’histoire ramène un soldat porté disparu au centre de cette famille. Pendant son absence, sa fille s’est prostituée chez l’ennemi, sa femme s’est liée à son frère; vous voyez le tableau? "C’est un spectacle rude, dur, parfois cruel, mais ça va à l’essentiel. On ne juge pas, on constate, on fait le décompte des ruines. Si la pièce n’est pas reposante, en revanche, elle n’est pas déprimante: c’est aussi un hymne à la vie, à la survie. Plusieurs jeunes sont venus nous voir après les représentations en Europe pour nous dire qu’ils avaient la pêche (le moral, la forme)."
Norén s’est beaucoup inspiré de ses comédiens et, semble-t-il, ils le lui rendent bien. "Il n’est venu qu’avec la moitié du texte. Le reste, il l’a écrit avec nous, nous demandant chaque jour nos rêves, nos préoccupations, et nous improvisions", nous dit Simona Maïcanescu, qui ajoute qu’avec lui, "on ne peut pas tricher"!
Du 20 au 22 mai
Au Théâtre de la Bordée
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