Le Moine noir : Double essence
"En lisant Le Moine noir, nouvelle qui fait place au surnaturel, j’avais l’impression d’être en face d’un récit assez curieux, assez étrange dans l’ensemble de l’œuvre de Tchekhov, raconte DENIS MARLEAU. Très rapidement, j’ai imaginé que ça pouvait constituer un spectacle."
Créé en mars 2004 à Mons, en Belgique, Le Moine noir présente Kovrine, jeune philosophe à la santé fragile, qui discute régulièrement avec un mystérieux moine. Tania, qui aime Kovrine et l’épouse, découvre bientôt que ce personnage énigmatique n’est qu’une illusion. "Le moine, suggère l’artiste, est une sorte d’agglomération d’entités: il est à la fois la mère et le double de Kovrine, l’autre qui n’est que le reflet de nous-mêmes, de nos angoisses."
Le texte, écrit par Tchekhov en 1894, présente pour Denis Marleau, directeur artistique du Théâtre Ubu, différents aspects intéressants. "En travaillant, j’ai appris à découvrir l’homme derrière tout ça: Tchekhov, qui est médecin, aborde ses personnages sans aucun jugement. Il a appelé cette nouvelle un "récit médical", lié à une sorte d’étude de la folie des grandeurs, mais aussi de toutes ces aliénations que les personnages développent, dans une Russie où on est un peu loin de tout. Il y a une telle humanité dans tout ça; je ne veux pas tomber dans les lieux communs, mais c’est particulièrement touchant. J’ai aussi découvert une écriture qui tisse des tas de réseaux dans le texte: rien n’est laissé au hasard. Ce qui nous semble complètement anodin, finalement, ne l’est pas du tout et devient porteur de sens si on y fait très attention. Cette espèce de construction très subtile qui se joue au niveau de l’impression, de la sensation, de l’émotion, c’est vraiment fascinant."
En plus de signer scénographie et mise en scène, Denis Marleau a adapté la nouvelle, travaillant en étroite collaboration avec André Markowicz et Françoise Morvan, deux traducteurs de Tchekhov. "J’aime bien travailler avec les récits. J’avais envie de dialoguer avec l’œuvre, et non d’oblitérer le fait que c’est une nouvelle. J’ai donc gardé la présence du narrateur, qui nous raconte l’histoire à travers la voix du traducteur. J’ai fait un montage avec la voix de Markowicz lisant des passages en français et en russe; ça constitue un tissu sonore qui crée une sorte de mystère, tout en donnant, par certains mots clefs, des informations au spectateur."
À cet élément sonore, auquel se greffent violon et chant en direct, s’ajoute une scénographie utilisant des images vidéo qui, si elles rappellent le lieu de l’action, évoquent surtout "des paysages intérieurs". L’ensemble crée "un Tchekhov sous influence: une influence un peu symboliste".
"Dans mon travail de metteur en scène, j’ai besoin des mots, des textes des autres pour avancer dans ma création, conclut l’homme de théâtre. Ce qui m’intéresse, c’est de faire entendre le texte et tous ces langages que j’aborde, et d’en arriver à développer une relation forte avec le spectateur, c’est-à-dire à le convoquer et à faire en sorte que lui aussi participe à l’élaboration du sens et de la beauté de l’œuvre. Tout n’est pas donné à entendre ou à voir: j’ai besoin de ces zones d’opacité, de ces mystères. Et l’œuvre de Tchekhov, justement, reste énigmatique. On ne sait pas très bien ce que ça veut dire: c’est complètement ouvert. Et ça, ça m’intéresse grandement."
Du 18 au 20 mai
À la Salle Albert-Rousseau
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