Cocteau selon Robert Lalonde : Un cocktail, des Cocteau
"Mais qu’est-ce que tu veux faire au juste? Où est-ce que tu t’en vas comme ça?" Voilà le genre de questions dont on assaillait Robert Lalonde quand il avait 15-16 ans. Ses proches étaient convaincus qu’il ne pouvait pas tout faire ce qu’il envisageait de faire, dont jouer et écrire. Il devait choisir, paraît-il. Mais le jeune Robert refuse de s’expliquer auprès d’eux. Il décide d’explorer, de se nourrir. Au milieu des renvois, des retenues que lui colle l’autorité en place, il s’obstine et s’acharne afin d’apprendre les métiers qui le passionnent. Mais il comprend vite que l’artiste multidisciplinaire demeure un créateur louche dans l’esprit de plusieurs. Là, il rejoint Cocteau. "Cocteau, avec tout ce qu’il portait en lui, n’avait pas le choix d’explorer tout ça. Et tant pis si certains le regardaient comme étant quelqu’un qui veut toucher à tout mais qui n’a de talent principal dans rien!"
"Cocteau, aux rythmes inégaux, aux sincérités successives, est un capitaine très distrait, qui surveille mal son équipage: la belle comme la bête lui échappent. Ses personnages profitent de ses aptitudes sans se soumettre à ses désirs: "Ce n’est pas inspiration, c’est expiration qu’il faut dire, car le souffle vient d’une zone de l’homme où l’homme ne peut descendre"", écrit Lalonde, citant Cocteau, dans Le Vacarmeur (Boréal, 1999). S’il n’hésite pas à qualifier Cocteau de bavard, soulignant au passage qu’il est parfois sage de couper quelques longueurs dans ses pièces (par exemple dans L’Aigle à deux têtes, dans laquelle jouera bientôt l’acteur), pour lui, l’idée que Cocteau aurait réussi sa vie mais que son œuvre n’est pas majeure est complètement fausse. "Beaucoup de gens se sont emparés du personnage afin que sa réputation demeure davantage que son œuvre. On disait bien à Paris: "un cocktail, des Cocteau"." Le milieu a été très dur avec lui, même s’il a beaucoup alimenté le mythe et la rumeur. On a aussi réduit son œuvre à quelques phrases-chocs qui, citées hors contexte, peuvent dire tout et n’importe quoi, pour n’importe quelle cause. "La vie et les aphorismes de Cocteau sont facilement rattrapables pour des causes qu’il n’aurait pas forcément défendues."
Robert Lalonde revient toujours aux livres, à l’œuvre. "Beaucoup de gens ont pensé de Cocteau qu’il était une espèce de magicien fabulateur qui effaçait ses traces. Il l’a tellement bien exprimé dans La Difficulté d’être, d’ailleurs, ce contraste entre ce qu’on a pensé de lui et ce qu’il était réellement." De fait, Cocteau était tout sauf quelqu’un de léger.
"De plus, on oublie souvent que Cocteau est la seule personne qui, par son admiration et sa compassion, a forcé Proust à finir son œuvre. Qu’il a eu la générosité, avec cette attitude presque groupie, d’écrire du théâtre et de faire des films pour des gens qu’il voulait voir jouer, de construire des réputations et un style dont d’autres ont profité davantage que lui. Lui, il est resté dans l’imaginaire collectif comme une espèce de magicien…"