La Nuit juste avant les forêts : Délier la langue
Scène

La Nuit juste avant les forêts : Délier la langue

Nous ne devrions jamais associer sincérité et ovation. Cela devrait aller de soi. Mais puisque nous vivons à une époque où les spectateurs se lèvent pour applaudir comme par habitude, je précise qu’après la représentation de La Nuit juste avant les forêts, l’émotion était palpable. On sentait toute la gratitude des gens envers cet extraordinaire acteur qu’est Denis Lavant.

"…et je cours, je ne me sens plus, je cherche quelque chose qui soit comme de l’herbe au milieu de ce fouillis…je cours, je cours, je rêve du chant secret des Arabes entre eux, camarades, je te trouve et je te tiens le bras…quel fouillis, quel bordel, camarade, et puis toujours la pluie, la pluie, la pluie…" Denis Lavant n’arrête pas, il narre cette phrase sans fin d’une voix rauque, inimitable, qui nous entraîne sur le seuil de la folie, de la paranoïa, mais aussi sur des terres moins hostiles, sur les sentiers de la poésie, où chevauchent désirs et amour, quête de lumière et d’identité. Plus surprenant, il nous fait rire. Plusieurs fois, ce personnage prend des allures de conteur qui, goûtant à l’élan des mots, ne peut résister à l’effet que l’humour entraîne. Car il n’est pas seul: on voit presque la multitude de personnages qui jaillissent de ses récits.

L’idée de reprendre une plaque, un socle, qui fait ressembler le comédien (dont le pied gauche est fixé à un rail) aux traits particuliers à une sculpture de Giacometti est des plus brillantes. Ensemble, le metteur en scène Kristian Frédric et Enki Bilal aux décors et costumes ont poussé la métaphore suggérée par Koltès à son paroxysme: l’homme qui marche dans la pluie, pris dans le béton des villes, appartient contre sa volonté aux soubassements, au métro, à la misère urbaine. Il se sent étranger à tout ce décor, cet environnement qui l’attache sans l’accepter, le frappe mais le laisse respirer, juste assez, pour qu’il nous souffle cette plainte portée par le rythme. À travers lui, la colère des laissés-pour-compte, des prostituées, l’angoisse des chômeurs, la peur, la peine et le peu de moyens des réfugiés et des gens seuls. Il cherche son coin d’herbe comme il cherche à communiquer, c’est tout.

Avec cette pièce, la littérature, même ardue, est comprise et donnée à tous sans aucune réserve.

Supplémentaires les 14 et 15 mai
À l’Usine C
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