Marie-Thérèse Fortin : Choix multiple
Scène

Marie-Thérèse Fortin : Choix multiple

Le théâtre était certainement l’un des champs artistiques de prédilection du brillant touche-à-tout. Entretien avec MARIE-THÉRÈSE FORTIN, qui travaille actuellement à la mise en scène de L’Aigle à deux têtes.

Que signifie aujourd’hui l’œuvre théâtrale de Cocteau? Encore faudrait-il en cerner une sphère précise. L’homme qui a touché au jeu, à la mise en scène, à la création de décors et de costumes, au mouvement et même à la critique démontre ici encore sa pluralité. Que dire alors de sa dramaturgie…

"Malgré les différents genres dramatiques explorés par Cocteau, il y a des thèmes récurrents, soutient Marie-Thérèse Fortin, qui mettra en scène la pièce L’Aigle à deux têtes l’année prochaine à La Bordée, à Québec, puis au Théâtre Denise-Pelletier, à Montréal. "On y retrouve souvent une fascination pour la mort et aussi pour les mythes. Cocteau était fasciné par l’être humain magnifié, au-delà de la réalité. Il était séduit par les acteurs, il aimait les voir comme des monstres sacrés du théâtre."

Considérant son théâtre comme de la poésie, Cocteau accumula néanmoins les collaborations théâtrales avec Ludmilla et Georges Pitoëff, Jean-Paul Sartre, Christian Bérard et bien sûr avec l’acteur Jean Marais. "Cocteau était un mondain, il tendait naturellement vers toutes sortes de formes qui lui permettaient de briller, explique Marie-Thérèse Fortin. Il était un homme très ambivalent mais toujours à la recherche de la fine pointe de la modernité. On le voit à son copinage avec les surréalistes ou encore avec Picasso (qui fut le concepteur des costumes de la pièce Parade en 1917)."

Or, si l’homme voyait le théâtre comme un moyen de traduire les expériences nouvelles, sa dramaturgie semble étrangement peu novatrice. "C’est vrai, convient Marie-Thérèse Fortin. Son théâtre n’a pas l’impact de ses autres formes. Je crois que c’est explicable par le fait qu’il écrivait sur des commandes d’acteurs et voulait leur faire plaisir. Or, le théâtre doit être un art critique sinon il devient rapidement complaisant. Je crois que Cocteau aimait peut-être trop les acteurs…"

Alors pourquoi choisir de monter un texte de Cocteau aujourd’hui? "Parce que sa parole poétique fonctionne, tant par sa force que par son accessibilité. Dans le cas de L’Aigle à deux têtes, il expose de façon très habile tout ce qui oppose la raison de l’État à la raison du cœur. On y retrouve aussi toute une réalité de rectitude politique, où la femme ne peut avoir accès au pouvoir que dans la mesure où elle accepte d’être contrôlée."

Mais pour la nouvelle directrice artistique du Théâtre d’Aujourd’hui, la force des pièces de Cocteau reste diluée dans une forme stylistique qui a perdu de sa pertinence. "Cocteau maniait joyeusement les jeux d’esprit ou faisait des pirouettes pour la galerie. Pour ma part, je crois qu’il faut éliminer tout ce côté clinquant de son écriture parce que celle-ci ne résisterait pas à l’urgence à laquelle nous sommes habitués de nos jours, ajoute-t-elle avec un sourire complice. Faut-il s’en inquiéter? Je ne sais pas. Je prends le pari de privilégier la tension dramatique. Là où réside à mon sens tout l’intérêt de son théâtre."