Montréal la blanche : Taxi driver
Fondé en 1998 par Annabel Soutar et Alex Ivanovici, le Projet Porte Parole donne dans un genre plutôt marginal: le théâtre documentaire. Après avoir pénétré dans les coulisses de la politique en 2000 (Novembre), de la finance en 2002 (2000 Questions) et de notre système de santé en 2003 (Santé!), le PPP s’intéresse ces jours-ci au sort de la communauté algérienne de Montréal.
Si la couleur éclatante des édifices de la capitale algérienne explique qu’on la surnomme Alger la blanche, la neige qui s’abat sur Montréal durant la saison hivernale autorise qu’on en fasse autant pour la Métropole. Voilà qui a incité Bachir Bensaddek (coréalisateur du documentaire Cirque du Soleil: sans filet) à regrouper les témoignages de nombreux Québécois d’origine algérienne sous le titre de Montréal la blanche. Orchestrant un savant collage de déclarations et de péripéties, la pièce donne la parole à l’un des plus importants groupes culturels du Québec.
Après avoir créé 2025, l’année du serpent, Philippe Ducros était tout désigné pour porter une telle partition à la scène. Utilisant l’espace de manière inventive, sa direction octroie une réelle continuité dramatique à des tableaux brefs et syncopés. Sept acteurs (dont six d’origine algérienne) incarnent une vingtaine de personnages dont les destins se croisent, se répondent ou s’entrechoquent afin de composer une fresque nuancée. Si tous les comédiens s’en tirent très bien, le chauffeur de taxi endossé par Saïd Benyoucef s’avère particulièrement attachant. Ariel Ifergan et Michel Mongeau font preuve d’une grande polyvalence alors que Hynda Benabdallah et Elkahna Talbi nous offrent assurément les moments les plus émouvants. Au centre d’un environnement scénique à plusieurs paliers, Marie-Claude Pelletier a positionné, dans la neige, le taxi éventré qui sert de pivot à la représentation. Ingénieusement détourné de son usage premier, le véhicule est magnifiquement balayé par les lumières de Yan Lee Chan. Alliage subtil des sonorités d’Amérique et d’Orient, les compositions de Ludovic Bonnier accompagnent avec beaucoup d’à-propos les scènes graves et légères dont la soirée est constituée.
Si elle plonge parfois sans retenue dans l’horreur des massacres, la pièce n’hésite pas non plus à souligner l’absurde et le comique de certaines situations liées à l’intégration. Tirant habilement profit d’une précieuse multitude de points de vue, elle dépeint la réalité des immigrants québécois d’origine maghrébine dans toute sa complexité. La quatrième production du Projet Porte Parole incarne parfaitement le double mandat (social et artistique) qui rend leur démarche aussi nécessaire que captivante. Sans emprunter le ton didactique et moralisateur trop souvent associé à ce type de théâtre, Montréal la blanche est en mesure de déclencher l’émotion et la réflexion aussi bien au sein de la communauté algérienne que chez les autres Montréalais.
Jusqu’au 29 mai
Au Studio du Monument-National
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