Porté à la scène par le Théâtre de Fortune, qui marquait ainsi une première au Québec, ce texte de Robert Pinget (1919-1997), auteur associé au groupe du nouveau roman, met en scène deux comédiens tentant – sans y parvenir, mais en explorant un maximum de possibles – d’écrire une pièce. Ce faisant, il y va également d’une réflexion sur l’acte créateur et le théâtre en particulier, alors que questions et clichés se bousculent. Écrite en 1971, Abel et Bela table ainsi principalement sur ses dialogues, agencements de répliques ciselées de main de maître par ce dramaturge que Beckett qualifiait d’orfèvre. C’est d’ailleurs ce qu’a voulu mettre en valeur Jean-Marie Papapietro (L’Amante anglaise, Match) à travers une mise en scène reposant d’abord sur le verbe. Décortiqué tant sur le plan de la signification que sur celui du phrasé, ce dernier inspire en effet un jeu de la parole, s’inscrivant dans une perspective très sobre. Plutôt que l’intrigue, les enjeux psychologiques ou la mise en scène, ce sont donc les échanges de ce duo d’antagonistes – Bela le pragmatique (Denis Gravereaux) et Abel le fantaisiste (Gaétan Nadeau) -, pitoyables dans leur poursuite d’une quête ne menant nulle part, qui rendent l’ensemble à la fois comique et attendrissant par moments.