Daniel Léveillé : Blocs erratiques
Scène

Daniel Léveillé : Blocs erratiques

Le Studio de l’Agora de la danse présente La pudeur des icebergs de DANIEL LÉVEILLÉ. La dernière partie d’un triptyque dont le pivot central est la jeune génération d’adultes.

"Les gens de la jeune génération semblent avoir une incapacité à passer du temps seuls, affirme le chorégraphe. En même temps, ils ont une peur viscérale de s’impliquer à deux. Ils forment des couples pour ne pas être seuls, mais ça dure rarement, parce qu’ils ne sont pas prêts à aller jusqu’au bout des choses." Daniel Léveillé, qui a la réputation de mouton noir du milieu de la danse contemporaine montréalaise, ne mâche pas ses mots lorsqu’il parle des relations humaines. "Biologiquement, c’est clair: la femme est au centre du désir. Tu as l’ovule, et les spermatozoïdes tournent autour. Le rôle du gars, c’est d’être le spermatozoïde. Pour lui, c’est instinctivement le nombre qui compte. Pas la qualité. Ce rôle revient à la femme; c’est-à-dire choisir la meilleure génétique possible… Or fondamentalement, il n’y a que deux fonctions primaires chez l’homme: manger pour survivre et baiser pour faire des bébés qui vont manger pour survivre. À peu près tout est lié à ça. Quelle que soit la forme d’art scénique que tu fais, il faut en tenir compte." Ces propos peuvent sûrement nous éclairer sur l’orientation structurelle de sa nouvelle création et sur la répartition des sexes au sein de la distribution: cinq hommes et une femme. Il s’agit des interprètes Frédéric Boivin, Mathieu Campeau, Stéphane Gladyszewski, David Kilburn, Dave St-Pierre et Ivana Milicevic.

Alors que la pièce précédente (Amour, Acide et Noix) était essentiellement constituée de solos et de duos, pour La pudeur des icebergs, la donnée de base est le trio. "Chorégraphiquement parlant, ça a été extrêmement difficile. Ça m’a pris au moins un an et demi à savoir à qui je m’adressais. Car lorsque t’es avec un danseur, tu lui parles; avec un duo, tu lui parles également. Mais parler à trois personnes, c’est impossible. À qui on s’adresse, dans ce cas? J’ai donc eu à fouiller énormément… D’une certaine manière, c’est comme si j’avais essayé de trouver le triumvirat parfait à tous les niveaux, y compris sexuel, amoureux, social, etc." Une structure qui permet théoriquement d’échapper à la situation d’exclusion, donc de solitude, sans nécessiter l’implication dans le couple (duo). Mais en pratique, est-ce aussi viable et efficace…

Aller à l’essentiel…
Les paroles du chorégraphe sont crues et sa ligne de pensée est claire. Ses oeuvres en sont le miroir. "Dans mon travail, "what you see is what you get". On explore actuellement (surtout depuis Amour, Acide et Noix) la transparence. Avec trente ans de métier, je sais maintenant que le rôle premier d’un chorégraphe aujourd’hui, là où j’en suis, c’est d’être là le moins possible, de disparaître, de m’enlever du trafic. On pense toujours qu’être chorégraphe, c’est être actif. Inventer, faire des pas, faire des mouvements… Je crois que c’est plutôt de créer un état ou une atmosphère de travail qui fait que les danseurs sont tellement mal pris qu’ils vont être créatifs."

Parmi les contraintes qu’il impose à ses danseurs, il en existe trois qui semblent majeures. La première est la précision dans l’espace. "Je suis un maniaque de l’espace. Si je place mes danseurs à un endroit et qu’ils sont un pouce à côté, je le leur dis. J’ai l’impression qu’il y a un ordre classique des choses. C’est comme si la résonance de ces éléments, entre eux, dépendait de l’exactitude de leur position."

La deuxième contrainte est une volontaire absence (scénique) de préparation au mouvement. "Quand je vais voir un spectacle, ça ne m’intéresse pas de savoir le temps que ça prend à l’artiste pour se préparer. Si ça fait trente secondes que la pièce est commencée et qu’il ne s’est rien passé, je sors. Je sais que ça va être plate jusqu’à la fin. Il faut savoir commencer. Quand tu entres sur scène, quoi qu’on te demande de faire, tu te dois d’être prêt. Y a pas de lieu plus sacré que la scène. Ce n’est pas n’importe quoi et l’interprète n’est pas n’importe qui."

La troisième contrainte – ceux qui ont vu sa pièce précédente le savent déjà -, c’est la nudité. "La leçon que j’ai eue avec la création d’Amour, Acide et Noix, c’est de m’apercevoir à quel point la peau était le véritable costume de l’être humain. Mais au-delà de cette transparence, il y a toujours, malgré tout, quelque chose qu’on ne dévoile pas. La pudeur des icebergs, c’est probablement la masse, en dessous, qu’on ne voit jamais." Le vrai visage de l’Homme…

Du 2 au 5 et du 10 au 13 juin
Au Studio de l’Agora de la danse
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