Jean-Frédéric Messier : Territoires occupés
Crise d’Oka, on connaît. Mais force est de constater que nous ne savons pas grand-chose de ceux dont on a pillé les terres. La compagnie de théâtre Ondinnok nous propose encore d’entrer dans cet univers méconnu avec cette fois une version amérindienne d’Hamlet co-écrite par YVES SIOUI DURAND et JEAN-FRÉDÉRIC MESSIER, mise en scène par ce dernier.
C’est un fait, la culture autochtone reste inexplorée. "Tout le monde connaît pourtant la mythologie grecque", expose doucement Jean-Frédéric Messier. "Ne sommes-nous que des sous-produits européens? Il y a pourtant eu transmission du sang et il en découle une lignée illicite et clandestine. L’histoire du Québec est finalement une belle fiction qui a pris sa source chez les Jésuites et fut revisitée par le nationalisme. Nous avons une grave amnésie historique. Il est pourtant pertinent de connaître des modèles mythologiques qui ont une résonance avec notre environnement. Nous ne connaissons que ceux d’un pays où il n’a jamais neigé."
Un jeune Amérindien épouse donc le parcours d’Hamlet et choisit de dénoncer le mensonge. "Il y a ce perpétuel débat au sein des communautés amérindiennes, poursuit Messier. Jusqu’où peut-on s’adapter à la réalité des Blancs sans risquer d’y perdre quelque chose? Il en résulte une quête d’identité très semblable à celle du Hamlet de Shakespeare. Qui suis-je, que suis-je devenu? Et ai-je raison d’accuser? J’aime beaucoup l’ambiguïté de Shakespeare à ce propos. Il y a toujours une possibilité qu’Hamlet soit paranoïaque. Tout est sujet à interprétation."
Hamlet étant celui qui ose pointer des coupables, Messier nous rassure en affirmant qu’il ne s’agit pas ici d’une charge contre les Blancs. "Il était effectivement dangereux d’être moraliste, de se laisser sanctifier par le sujet. Mais il est plutôt question de l’exploitation des territoires au sein même de la communauté. Connaître les déchirements et les paradoxes d’une autre culture nous éclaire souvent sur la nôtre. Le propos de la pièce rejoint notre propre crise identitaire."
L’auteur metteur en scène, dont les créations débridées ont donné une couleur à la compagnie Momentum, propose cette fois une forme théâtrale circulaire, tant dans le travail spatial que dans la trame narrative. Il se défend également d’alourdir un propos déjà très dense. "Nous tentons de créer quelque chose de cinématographique, une série de courts tableaux. Nous jouons aussi dans une ancienne usine, un environnement très urbain qui montrera bien le décalage des deux cultures. On y entendra le traditionnel Buffalo Drum ainsi que des chants amérindiens alors que certaines scènes seront interprétées en atikamekw."
Bref, une incursion qui rappelle presque le documentaire. "Je crois assez au potentiel chamanique de la représentation théâtrale, insiste toutefois Messier. Présenter sa fragilité humaine devant d’autres gens se rapproche du rituel. Et ça nous relie…"Informations: 514.593.1990
Du 1er au 19 juin
À l’American Can , 2030, boul. Pie IX (métro Pie IX)