Bill 101 : Traduction infidèle
On trouve beaucoup d’idées (malheureusement pas très neuves) et peu d’action dramatique dans Bill 101, la dernière création d’Yvan Bienvenue. Comme sujet à sa première pièce en cinq ans, le dramaturge a choisi d’aborder la question linguistique par l’intermédiaire d’une trame policière aussi ténue que cousue de fil blanc. Si certains artistes parviennent à transcender un sempiternel débat identitaire et culturel en le cristallisant dans une œuvre d’art, cette grâce ne semble pas accessible à tous. Souvent didactique, rarement novatrice, cette production d’Urbi et Orbi tente au moins de pourfendre la rectitude et la démagogie ambiantes.
Si Bienvenue n’a jamais nié que son théâtre campait ses opinions, il le démontre cette fois de manière plus explicite que jamais, notamment en diffusant de nombreuses séquences d’une entrevue réalisée avec lui-même. Malgré tout, la mise en scène parvient à instaurer une certaine tension. Dans la peau de Philippe, le documentariste prisonnier des bureaux de la Police de la Langue Française, Martin Desgagné s’approprie très justement une partition exagérément truffée de formules. En directrice autoritaire et exceptionnellement articulée, Renée Cossette témoigne d’un superbe aplomb. Alors que Jacques L’Heureux compose un "policier" assez attachant, André Ouellette dote son jeune agent d’un zèle évoquant cruellement la montée du fascisme. Dans le rôle de l’anglophone accusé d’affichage unilingue, Paul Stewart recrée parfaitement les comportements du bouc émissaire.
Malgré ses indéniables défauts, il faut reconnaître à cette proposition le mérite de relancer le débat autour d’une question moins périmée qu’on ne pourrait le croire. En poussant à fond les idées d’une organisation militant pour la pureté de la langue française (le Regroupement des Eugénistes Francophiles), la pièce laisse entrevoir les risques de l’extrémisme sous toutes ses formes. Alors que certains des affrontements font réfléchir, la plupart, chargés de dérision, parviennent à déclencher un rire salvateur. Sans dévoiler la chute de cet étrange polar sociopolitique, disons simplement que les derniers instants du spectacle sont imprégnés d’un humour si macabre qu’il glace le sang.
Jusqu’au 19 juin
À Espace Libre
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